vendredi 26 février 2016

L'Effroyable réveil


Quand l’aile de la nuit couvrait encore le monde
Nous étions des milliers, n’avions ni dieu ni roi.
Nous étions les porteurs de vos peurs vagabondes
Les seigneurs des ténèbres et des contrées sans loi.

Vos cités étaient nôtres. Nous venions d’autres terres.
De ces îles ignorées aux entrailles fécondes.
Nos hippogriffes mus par les vents des enfers
Rugissaient en silence au bord des eaux profondes.

Nous descendions paisibles vers les bas-fonds des villes
Pour frotter nos peaux sèches à celles des ribaudes
Reniflant les relents des caresses serviles
Aux carrefours étroits et glauques des maraudes.

Nous laissions derrière nous la morsure des rapaces,
Un souffle d’air glacé courant dans les couloirs
Et l’écho de nos rires quand vous cherchiez la trace
De nos reflets absents dans l’eau des grands miroirs.

C’était un autre temps, c’était encore hier.
Si je suis emmuré dans une tombe grise
Mes compagnons grimacent en leurs prisons de pierre
Accrochées tout en haut du clocher des églises.

Mais ne reposez pas, ô vous pauvres mortels !
Nos maîtres sont puissants diables tricéphales.
Ils se nomment l’argent, le pouvoir, les chapelles
Et rampent dans vos âmes, prêts à ouvrir le bal.

Quand ils auront semé assez de terreurs vaines
Dans vos cœurs pétrifiés, assez de noires envies
Dans vos cerveaux jaloux, suffisamment de haine
Dans vos foules aveugles, ils nous rendront la vie.

Ils viendront nous chercher perchés en haut des tours.
Nous planerons alors dans des cieux embrasés.
Depuis des millénaires nous renaissons toujours
Et laissons libre cours à nos orgies passées.

Et moi je suis le prince de la sombre cohorte
Dans mon repère glacé je brûle d’impatience
J’ai perçu tout à l’heure le serpent qui m’apporte
Le signal espéré de notre délivrance.

Mes yeux se sont ouverts, déjà je sens en moi
La lave rougeoyante qui irrigue mes chairs.
Les valets ont sorti mon habit d‘apparat
Bientôt je vais paraître aux portes des enfers.

Je ne sais pas encore dessous quelle oriflamme
Nous nous élancerons. De quelle ville sainte :
Jérusalem ou Rome, La Mecque ou Manhattan.
Mais je sais que bientôt s’élèveront les plaintes.

Svastika ou faucille, qu’importe la bannière,
Le Talmud ou la Bible, Evangile ou Coran
Qu’importe le slogan : la haine est sans frontière
Pour les fous sanguinaires qui traversent le temps.

Nous repartons encore pour l’éternel voyage
Poussant la cruauté à son point culminant
Nous sommes pour toujours les mercenaires sans âge
Du fanatisme absurde pourvoyeur du néant.

Surtout n’oubliez pas, ô hommes sans mémoire :
Quand vous voyez, moqueurs, briller nos yeux de pierre
Et nos gueules ouvertes qu’au soir la lune éclaire
C’est le fond de vos cœurs que vous devriez voir.


1 commentaire:

  1. ah oui j'ai gardé un souvenir vif de ce poème grandiose et inspiré, merci !!!

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