Pas
de batterie de cuivre à la maison. Pas de piano. Des casseroles en fer blanc ou
en fonte. Un fourneau à charbon avec barre de laiton et la réserve d’eau chaude
pour les bains marie.
Entre
les deux guerres elle et son mari avait eu un hôtel dans une petite ville de
province. Un hôtel où elle servait matin et soir pas loin de cinquante couverts
et plus de cents les jours de marché. Les paysans s’arrêtaient là pour y
laisser les chevaux et les carrioles. Les gendarmes en transit en avaient fait
leur résidence. Je n’ai vu que quelques photos jaunies d’une vie foisonnante et
sûrement assez rude, mais pleine de bonheur. J’ai aussi retrouvé quelques
livres d’achat écrits en lettre ronde, avec soin. La cuisine et la pâtisserie
étaient son vrai métier.
Elle
ne cessait jamais. Les pâtés aux cerises que l’on dénoyautait avec une espèce
d’engin à ressort. Les clafoutis aux cerises que l’on ne dénoyautait pas. Des
ragoûts, des vol-au-vent, des quenelles, des vacherins, des civets, des
volailles, des soufflés, des pots au feu, des mirotons, des crèmes anglaises ou
au beurre, des ganaches, des confitures, des bocaux, des liqueurs, des conserves
… Les parfums changeaient jour après jour et suivaient les saisons, bien sur.
Les légumes et les fruits étaient du jardin, les poulets aussi. Le fouet était
à main, les purées au moulin à légumes ou au presse-purée. On liait les sauces
en un tournemain et on déglaçait au vin de pays, simplement. Les flammes
montaient parfois un peu trop haut mais toujours dans le calme. Et il y avait
en permanence quelque chose en train de mijoter au fond du fourneau et qui
prenait paisiblement un goût inimitable.
Mes
petits bonheurs : voler de la pâte au rouleau, goûter le flan avant qu’il
ne soit enfourné, mettre le doigt dans les sauces brûlantes. Et puis surtout,
faire couler le caramel sur les blancs en neige dans leur crème anglaise, en
posant le pique-feu rougeoyant sur des morceaux de sucre.
J’ai
très vite su quelques termes. Glacer, lier, réduire, foncer, abaisse, singer,
blanchir, napper … Certains noms me faisaient rire, beurre manié, sauteuse ou
l’inénarrable cul de poule.
Et
puis l’année de mes quatorze ans, la cuisine s’est tu. Elle était brutalement
devenue une pièce égarée comme un bateau sans capitaine, sans but, sans voyage.
Ainsi va la vie, ainsi va la mort.
Aujourd’hui
chaque fois que je me mets aux fourneaux je pense à elle et je la revois,
habile, rapide, subtile et drôle. J’ai gardé en mémoire des saveurs, des goûts,
des textures que je ne retrouverais sans doute jamais. Les produits ont
changés, les façons de vivre et de manger aussi. Et puis je sacrifie à la mode
des verrines, des cuissons très courtes, des mélanges d’épices, du sucré salé,
des poissons crus marinés, des cuisines des autres continents. Mais je consulte
encore parfois son livre de recettes qui se résument pour la plupart à de
simples proportions et à quelques annotations. Mais c’est son écriture et c’est
un peu un témoin qui s’est transmis ainsi et qui un jour tombera de mes mains,
définitivement.
Elle s’appelait Marie et elle était ma grand-mère.
Oh! Comme c'est touchant. J'aime ce genre d'article... C'est merveilleusement décrit, je vois la scène - à travers certaines cuisines de vieilles auberges autour de Bruxelles, certaines ont fermé, d'autres non, où l'on sert encore de la bonne honnête cuisine bourgeoise. J'ai gardé précieusement les découpages de recettes de ma maman, rangées dans des fardes de son enfance, mais il m'arrive surtout de compulser les verso des recettes, pour les articles et les pubs des journaux du passé. Chez les bouquinistes, dans les rayons livres de cuisine, tu trouves encore quelques vieux bouquins de cuisine bourgeoise ou d'organisation ménagère, avec un chapitre cuisine. J'adore ce genre de vieux livre et j'adore la cuisine bourgeoise "vintage". Pourtant, je sacrifie aussi à une cuisine plus moderne ou plus légère aussi, comme les pâtés végétaux. Mais chez nous aussi, ma maman était une adepte de la simplicité, casseroles en aluminium ou au contraire, en fonte très lourde, battre les blancs d'oeufs avec deux fourchettes, puis avec un batteur à la main, et maintenant encore, alors que j'ai un mixeur, battre les blancs d'oeufs est une corvée, curieux, non ?
RépondreSupprimerJe n'ai pas connu ma grand-mère maternelle, mais du côté paternel, les femmes (et les hommes parfois), cuisinaient bien. Ma grand-mère avait une recette de coq au vin que je n'ai pourtant jamais essayée, et une de ses soeurs était cuisinière de métier (elle avait été placée en apprentissage dans une famille bourgeoise, les Materne, une marque de confiture belge).
Cuisine pour moi, le mot, la pièce, est synonyme d'odeurs, de chaleur, d'amour...