La porte qui claque. Derrière, la douceur des étreintes, puis plus tard les orages, les mots remords, les cris, les pleurs. Devant, un escalier qui n’en finit pas de descendre. Cette honte fière qui pèse sur vos épaules et alourdit le corps. Et l’espace que l’on met. L’espace en avant qui ouvre et grandit sans cesse. L’espace en arrière qui referme et qui allonge le temps. Hier semble loin déjà. Demain est juste au bout du chemin. La marche, l’oubli recroquevillé dans l’écho des pas, et la mémoire qui ne ressasse plus mais qui n’embellit pas encore. Un sac léger pour tout bagage. Des quais de gares, des trains, des paysages qui emmurent la fuite et qui tout à coup la libèrent pour vous sauter au visage, puis l’emmurent à nouveau dans un sifflement métallique, violent. Des paysages comme des lignes de couleurs dessinant sur sa carte du tendre le chemin à l’envers. J’allais sans savoir où. Plus exactement sans l’avoir formalisé par peur de rompre le fil ténu de la magie du rêve. Ne pas dire les mots, se nourrir d’eux au dedans avant de les jeter en pâture à la réalité vorace. Au bout, la Toscane et Florence.
Dès la sortie de la gare, là, sur
la place, la ville vous prend la main. Alors, sac en bandoulière j’entrais dans
le grand livre. J’ai très vite oublié la gare elle-même, curieux mélange
d’architecture des années trente et de modernité clinquante, pour filer droit
devant en longeant l’église Santa Maria de la Novella. Sur la petite place où
l’on débouche, on se retourne vers la façade blanche et incrustée. Un avant
goût de l’autre majesté que j’attendais sans le savoir. Mais il faut cheminer
dans les clichés familiers d’un Italie bruyante, rieuse, interpellant. Des
odeurs montent d’arrières cours cachées derrière des immeubles renaissance
certains de leur beauté ocre ou blanche. J’ai rejoint la via dei Bianchi qui
devient plus loin de Cerretani. Inutile de se presser. Au dessus le bleu du
ciel danse entre les balcons et les angles de pierres massives de quelques
palais. La foule se densifie et soudain elle est là, colossale de blancheur
marbrée de rose et de vert usé. Son toucher à le velouté nostalgique des temps
passés et la rudesse de leurs douleurs. Je la pressentais bien sur, mais elle
m’arrive, sidérante. Sur la piazza del Duomo, on garde pour plus tard le petit
baptistère pour sombrer de bonheur devant la cathédrale merveille. Santa Maria del Fiore. Manque de recul, alors la
coupole s’aperçoit seulement. Comme le campanile à l’autre bout où je montais
pour voir enfin la ville, pensant à Giotto dont je découvrirais plus tard, dans
une autre vie, les fresques à couper le souffle, à Assise.
La suite fut le Palazzo Vecchio et le David, puis le Ponte Vecchio par la via Por Santa Maria (encore). J’avais envie de dévorer la vie, de manger des glaces, de parler à tout le monde, d’acheter toutes les babioles offertes par les marchands. Dieu que cette ville est belle et pleine des siècles écoulés. De l’autre côté de l’Arno la masse verte et odorante du Boboli. Et, au bout de l’esplanade je l’ai vue, elle.
La suite fut le Palazzo Vecchio et le David, puis le Ponte Vecchio par la via Por Santa Maria (encore). J’avais envie de dévorer la vie, de manger des glaces, de parler à tout le monde, d’acheter toutes les babioles offertes par les marchands. Dieu que cette ville est belle et pleine des siècles écoulés. De l’autre côté de l’Arno la masse verte et odorante du Boboli. Et, au bout de l’esplanade je l’ai vue, elle.
Je la voyais de dos et maintenant
c’était elle mon émoi, ma sidération. Une silhouette frêle et légère, un parfum
d’épice envolé jusqu’à moi là, derrière elle. Je crois qu’elle ne touchait pas
le sol, ou alors à peine. Devant nous, Florence chatoyante et bruissante dans
la chaleur tremblante de juin. Autour de nous la fraîcheur des jardins. Je
savais que si elle se retournait je ne serai plus rien, jamais. Elle se cambra
légèrement, eut un mouvement de tête comme un envol de colombes pour ramener sa
chevelure claire en arrière. Elle se retourna. Deux lacs de montagne, une
orange sanguine et un rire d’enfant sur un corps de femme. Un rire d’innocence
qui sait les longues jambes, qui sait la taille fine, qui sait la naissance des
seins dans l’échancrure, qui sait le velours de la peau. J’ai plongé mon regard
dans l’eau de source, j’ai mordu dans la pulpe de l’orange, j’ai respiré l’air
autour d’elle, l’air qui était elle. Elle a chuchoté à mon oreille en se
dressant légèrement sur la pointe des pieds.
J’ai pris sa main et nous sommes allé boire à la cuillère une Cioccoleta près des Uffizi.
J’ai pris sa main et nous sommes allé boire à la cuillère une Cioccoleta près des Uffizi.
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