jeudi 4 février 2016

La peau de l'ours


Livre de l’Iconoclastie
Chapitre jesaispluscombientième

Et Dieu trouva que cela était bon.
Cependant, il grommelait en lissant sa longue barbe. J’aurai mieux fait de créer d’abord le rasoir à 5 lames et l’aftershave, nom de moi-même ... Mais qu’est-ce que j’ai bien pu foutre de mon business plan et du climbing book qui va avec ... J’aurais aussi dû commencer par créer la secrétaire, et le dessous de bureau, tiens !
Ah, le voilà ce divin carnet. Alors : que la lumière soit ... c’est fait. Séparée des ténèbres, fait. Le soir, le matin, faits aussi. Les eaux, la terre, le ciel ... faits. Les arbres, les plantes, les fruits, les fleurs ... OK. Les lampadaires, les appliques pour éclairer la nuit et le jour. Bon c’est un peu n’importe quoi, mais ça les occupera. J’sais pas qui sont encore les « les » mais c’est en train de murir dans mon esprit divin.
Donc à présent, on est le cinquième jour (c’est dingue comme le temps passe depuis que je l’ai créé). Je tiens mes objectifs. Y a intérêt vu l’énormité de l’investissement. Aujourd’hui c’est les bestioles. Des milliards d’espèces que je vais coller dans l’univers. Pas univers, mais multivers plutôt. Des univers parallèles qui se croisent mais ne se rencontrent jamais. Va leur donner du fil à retordre aux « les ». Enfin lorsque j’aurais créé le fil bien évidemment. Tiens le soir tombe. Bon au dodo et demain, je crée un personnage à mon image.

A l’aube du sixième jour, Dieu était en plein forme. La nuit lui avait porté conseil, et réciproquement.
Ses rêves lui avaient permis de concevoir les êtres qui allaient peupler la terre, et le créer lui-même. Et ça, c’est vraiment, vraiment balaize, pensa Dieu : créer quelqu’un pour pourvoir exister. Au boulot ! 

Dieu prit un peu de terre, et façonna de ses mains l’Etre. Celui-ci, s’ébroua, secoua sa lourde tête, huma l’air en faisant frissonner ses narines et poussa un grognement colossal. Dieu vit que cela était bon. Il le baptisa « grizzli » et créa la sieste en se calant dans la fourrure docile de l’ours magnifique. Autour d’eux des milliards d’animaux, d’insectes, de paramécies, de virus et d’acariens jouaient comme des fous dans le silence car Dieu n’avait pas encore créé le bruit.

Un léger toussotement le tira de son sommeil divin. Devant lui, un être nu se tenait sur ses deux pieds et présentait un sourire gêné. T’es qui toi, dit Dieu. Ben je suis celui que tu as créé à ton image. N’importe quoi. C’est Grizzli, là, qui est à mon image. Sauf ton respect, Dieu, mais tu devrais créer le miroir. Juste pour te rendre compte. Pas con, dis donc. Dieu se concentra et une superbe psyché se matérialisa devant lui. Merde alors, mais t’as raison, c’est toi qui me ressembles. Mais tu sors d’où ? A la vérité, tu avais laissé un peu de la terre qui t’a permis de créer la chose énorme et malodorante sur laquelle tu somnolais. Et puis un grain de poussière en appelant un autre, je suis né. Au passage, je m’ennuie déjà. Alors si tu pouvais créer une gonzesse ce serait assez cool. Une ? Une gonzesse, une nana, une meuf, une belette, une greluche, une poulette, un colis, une bombasse quoi. 

Dieu apposa ses mains sur le front de l’être, qui s’endormit. Il préleva une côte et fabriqua la merveille absolue de la nature. Il restait un peu d’os et le donna à Grizzli qui lorgnait sur la chose. Puis il secoua l’être. Alors, kèst’en penses mec ? Tain, elle a l’air grave bonne. La merveille regarda autour d’elle, aperçut un serpent et s’écria « chouette un sac à main ». Puis elle vit l’ours, le toisa et murmura « chouette un manteau de fourrure ». Puis elle prit la main de l’homme et lança « bon alors on baise, ou bien ? ». Yes fit l’homme ; mais doucement, c’est la première fois quand même.

Dieu devint vert de rage. Si vous ne pensez qu’à ça alors barrez-vous. Quittez le jardin d’Eden. Je garde près de moi Grizzli, l’ours superbe et généreux qui sera définitivement et pour les siècles des siècles le symbole de la nature sauvage et indomptable.

En passant la grille du jardin l’homme se retourna et lança furieux au quadrupède, « j’aurais ta peau, un jour. Je l’aurai. »


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