vendredi 29 avril 2016

Le carrelet.


Thème de la semaine sur les Impromptus

Au petit matin, Dethiers et Pacôme courraient sur la plage, humant l’air marin. Le soleil pointait, démesurant leurs ombres. Ces deux policiers belges, avaient choisi de passer quelques jours près de La Rochelle avec leurs familles. Tenter d’oublier Molenbeek dans une maison louée ensemble, juste au bord de l’eau. Ils s’arrêtèrent un instant pour souffler un peu et faire quelques étirements. La marée avançait ; dans deux heures ce serait la pleine mer. Ils admiraient la ville proche que coloraient peu à peu les rayons du soleil. Les grands oiseaux jouant sous le vent, les bateaux de pêcheurs rentrant au port, l’île de Ré semblant émerger, le pont encore dans une brume pâle et enjambant l’immensité mouvante.

- Tu as entendu cette nuit, cette étrange musique venue de nulle part ? Demanda Dethiers
- Oui, oui, répondit Pacôme.
- C’était comme un chant, comme des vocalises portées par le vent, entrecoupées de silence. Mais j’ai eu l’impression de percevoir aussi une sorte de souffrance, d’angoisse au cœur de ces variations mélodiques.

Pâcome commençait à faire des pompes lorsque la voix reprit doucement, mais très proche. Il se releva, troublé. Dethiers aussi avait entendu.
- Regarde on dirait que ça vient de cet abri-là, juste là.
Ils se dirigèrent vers la construction de bois gris et rouge. Au-dessus de la porte en haut de l’escalier, une inscription « Miss-ter ».
La voix continuait, modelant une mélopée à la fois calme et inquiétante. Ils décidèrent d’aller voir à l’intérieur.

La porte n’était pas fermée à clef. Ils l’ouvrirent doucement. La pièce était encore un peu sombre, à peine éclairée par une ouverture en forme de cœur. Et là ils restèrent immobiles, interdits ; devant eux, dans une espèce de baquet rempli d‘eau de mer, une femme aux yeux clairs et à la chevelure abondante et blonde était nue. Ses bras graciles étaient liés à deux crochets ancrés aux parois. On ne la découvrait que jusqu’à la taille, le reste de son corps était dans l’eau. Celle-ci était couverte d’algues sombres. Contre le baquet, un panneau en bois sur lequel était écrit « Tiss-mer ». Elle les regarda intensément et d’une voix étonnement grave murmura :
- Libérez-moi s’il vous plait, sinon je vais mourir dans la chaleur du jour.

Dethiers et Pacôme s’approchèrent. Ils trouvèrent un couteau et coupèrent les liens. Ils ne pouvaient détacher leur regard de ce corps superbe. Ils voulurent la soulever pour la sortir enfin de ce piège, mais elle leur demanda de ne pas le faire :
- S’il vous plait, n’écartez pas les algues. Emportez, si vous le pouvez, le baquet près de l’océan. Alors vous comprendrez. Pacôme bredouilla :
- Bon d’accord, nous allons vous aider comme vous le demandez. Puis nous reviendrons examiner ce local.

Ils réussirent tant bien que mal à descendre le bac avec la jeune femme. Ils ne cherchaient plus à comprendre. Leurs esprits de policier s’étaient envolés. Ils étaient à la fois dans la cabane du pêcheur et dans une autre dimension, dans un autre monde, portés par la voix qui continuait à moduler une douce mélodie.

Ils arrivèrent près de l’eau qui montait encore.
- Avancez un peu s’il vous plait, afin que je sois entièrement dans l’eau.
Ils obéirent.
- Je dois vous expliquer sur j’ai été prise dans les filets d’un pêcheur. Il m’a capturée et portée dans sa cabane. J’étais à la porte de l’enfer. Merci de m’avoir libérée.

Elle leur sourit, appuya ses mains sur le rebord du baquet, émergea et replongea aussitôt dans l’océan. Son immense queue de poisson bleu lui fit gagner très vite le large. Elle leur fit un signe de la main et fila vers les grands fonds.
Pacôme et Dethiers venaient de sauver une sirène.
Ils gardèrent cette rencontre pour eux, bien cachées au fond de leurs cœurs. A chaque anniversaire de cette aventure, ils entendent la voix grave et mélodieuse qui les remercie, et un baiser se pose délicatement sur leurs lèvres.



Holly Island / La raison des limites

Il y avait eu ce corps rejeté par la mer verdâtre sur la grève de Sainte-Louise, un matin de mai. Un printemps automnal, quand le vent froid brasse sans cesse le sable avec l’air salé et vient se jeter en hurlant contre une ville recroquevillée et incrédule. Un corps à moitié décomposé, gonflé à outrance, presque ridicule dans sa nudité obscène. Une mort solitaire inaperçue, inconnaissable.
Il y en eut un autre quelques kilomètres plus au nord. Une femme encore jeune peut-être.
Puis un troisième. Retrouvé dans une crique longtemps après. Les oiseaux en avait fait bombance, le laissant lacéré, déchiqueté, os luisants sous le clair de lune de l’été.

Les autorités avaient pensé à un naufrage, à un bateau perdu errant dans cette zone maritime pourtant assez fréquentée. Des recherches avaient été entreprises en ce sens. En vain. Aucune déclaration de perte, de disparition. Rien qui pouvait écrire un début d’histoire à ces noyés éperdus. Et puis il y a eu l’homme. Arrivé en pleine journée sur la plage du Cheval Blanc, au milieu des cris d’enfants, des châteaux de sable et des papiers de bonbons. Un homme d’une cinquantaine d’année, à la calvitie prononcée et au corps décharné, arrimé grossièrement à une planche de bois. La gendarmerie prestement alertée en cette période sacrée des congés, fit diligence. Cordon de sécurité, ambulance, sac gris à glissière. En dix minutes, la plage était libre, mais l’endroit de la macabre découverte resta jusqu’à la nuit sans estivant, par respect, ou plutôt par superstition.

A l’autopsie, on retrouva dans l’estomac de l’homme de la plage que les journaux du lendemain avaient subtilement baptisé « Whitehorseman » une clé USB dont les révélations allaient bousculer l’ordre établi. Dans le fichier principal intitulé « pourquoi » on put lire ceci :

Je m’appelle Lubin Chaborier. J’ai cinquante et un ans. Je vis sur Holly Island. Je fais partie de ceux que là-bas on appelle « les fous ». Nous sommes parqués dans une zone spéciale. Nous sommes à peu près nourris et logés. Nos cabanes sont incluses dans des périmètres établis en bordure de mer, et gardés par des soldats. Je vis avec ma mère et mon fils de quinze ans. Lorsque nous avons été emmenés, mon épouse a été aussitôt prise pour le maître. Elle doit désormais faire partie de son harem avec d’autres femmes et jeunes filles. Ils ont dû l’implantée de force. Quelque part, sa beauté l’a condamnée et sauvée à la fois.
Je ne sais plus par quel miracle, j’ai pu conservé l'ordinateur qui m’a servi à créer cette clé.
Ce soir j’ai décidé de tenter d’alerter le monde. Certains de mes compagnons ont essayé de fuir à la nage, sans aucune chance, ni de survie,ni d’arriver vers une terre encore civilisée. Je suis géographe de formation. J’ai étudié les courants. Cette nuit, je vais avaler la clé. Je me mettrai à l’eau sans bruit avec la planche que j’ai taillée au mieux et dissimulée au regard de nos gardiens. Je nagerai le plus loin possible jusqu’au courant qui me portera jusqu’à vous. Lorsque je sentirai que mes forces m’auront abandonné, je glisserai mes bras dans les liens que ma mère et mon fils ont confectionnés, j’avalerai un puissant somnifère puis je me laisserai dériver jusqu’à ce que la mort me délivre. Je me sais malade. Ma vie ne vaut plus que par ma mort. Peut-être sauvera-t-elle des milliers d’autres fous, comme moi.

Perdue à une centaine de kilomètres au large du continent, baignant dans un océan turquoise, Holly Island était un véritable petit paradis. On y trouvait entre autre, une hôtellerie somptueuse réservée à une élite nantie qui venait se divertir sur des golfs paradisiaques. Mais aussi, le long des plages de sable blanc, on avait construit des myriades de petits bungalows coquets et confortables permettant à des vacanciers plus modestes de profiter de la douceur du climat. L’île était coupée en deux par une barrière montagneuse et boisée qui offrait également des plaisirs plus bucoliques aux amoureux de la nature. Enfin, la population locale, mais non autochtone car Holly Island était inoccupée jusqu’à ce qu’on la découvrît, était réputée pour sa gentillesse souriante. C’était elle qui assurait l’ensemble des services aux estivants. Nous étions là au nord de l’île.

La réalité était bien différente sur sa moitié sud. Battue par les vents violents et les pluies tropicales arrêtées par les hauts sommets, elle était recouverte d’une forêt réputée infranchissable et hostile. Les autorités locales avaient même dressé une limite physique sous la forme d’un grillage haut de trois mètres, long de plus de trente kilomètres et dûment gardé de part et d’autre par des patrouilles de militaires que l’on disait armés.

Cependant, c’était là que résidait toute l’économie du territoire. Le sous-sol regorgeait d’un minerai très rare, donc très cher, utilisé dans les industries nucléaires et pharmaceutiques et découvert une quinzaine d’années auparavant par Victor Romburg alors jeune ingénieur. Celui-ci avait bâti un empire immense, prenant possession de la totalité de Holly Island qui n’était alors rien de plus qu’un numéro sur les cartes maritimes. Sa société était devenue une multinationale aux multiples ramifications, présente dans tous les pays et à qui la majorité des gouvernements devait plus ou moins quelque chose … Si il avait fait de la région favorisée par le climat, un havre de paix, de plaisir et de fêtes il avait fabriqué sur l’autre versant, un véritable enfer.

- Diapo, s’il vous plait …
- Mesdames et messieurs, avant que nous commencions la visite à proprement parler de cette partie de Holly Island, et bien que vous avez certainement déjà beaucoup appris sur les agissements de le VR Compagnie et de son maître, je me dois d’attirer votre attention sur quelques points essentiels …
Avec un expression de lassitude : …diapo suivante, merci …

- Vous pouvez maintenant voir ceux sans qui les révélations de Whitehorseman n’auraient eu aucun écho. Les autorités tenaient à garder le secret le plus absolu sur ce qui se passait ici. Cependant, Valérie et Eric Truchessec ont eu connaissance de ce que contenait la fameuse clé USB. Journalistes d’investigation, ils ont décidés de venir sur l’île. Officiellement ornithologues et photographes, ils menèrent une enquête qui les entraîna bien plus loin qu’ils ne l’imaginaient.

Ils ont les premiers noté que Holly Island n’était sous aucun couloir aérien et que, partant, on ne pouvait jamais l’observer d’en haut. De même les promenades proposées aux touristes étaient effectuées en hélicoptère pilotés par des hommes ou femmes assermentés qui ne dépassaient jamais « l’équateur » du territoire, ni ne s’aventuraient sur la zone sud par les côtes.
Ils ont saisi que le personnel si aimable et si serviable de la partie touristique changeait quotidiennement selon un rythme régulier et que les partants étaient reconduits dans des zones réservées, interdites aux touristes.

Ils ont été frappés par un geste récurrent chez eux tous : ils portaient fréquemment la main derrière l’oreille droite afin de masser légèrement cette zone, comme si ils ressentaient la même gêne ou la même douleur.
Puis un jour, ils ont entrevu rapidement sur une jeune fille nouvellement arrivée, une légère incision à cet endroit précis.
En prenant des risques insensés, ils ont alors franchi la limite.

Au nord les ports de plaisance, les cités brillantes, et les embarcadères pour ferries. Mais au sud, un énorme port industriel où containers et minerai transitaient en permanence. Ils virent les puits de mines et les villages sinistres des ouvriers. Ils découvrirent également un bâtiment à l’architecture audacieuse, siège de la VRC. Enfin, une nuit, il réussirent à pénétrer dans l’hôpital ultra moderne fierté du maître des lieux.

Là, ils ont compris que des équipes de chirurgiens implantaient derrière l’oreille droite une sorte de puce, miniaturisée à l’extrême, destinée à enlever toute volonté et, conjointement, à induire un sentiment permanent de bien-être. C’était là que résidait toute la puissance de la VRC : des hommes et des femmes robotisés, obéissant toujours à leur maître.
… diapo suivante … merci …
Ici la photo de ces puces. Vous les verrez tout à l’heure « en vrai » dans le musée de l’hôpital.
- Mais il n’étaient pas encore au bout de leur surprise.

Voyez-vous, mesdames et messieurs, Victor Romburg était un monstre mais ne voulait pas de sang sur ses mains. Le choix pour son personnel portant sur des gens intellectuellement limités avait un intérêt primordial : grâce à son talent de persuasion, il les convainquait d’accepter l’implant.
Cependant le discours des recruteurs était séduisant et prometteur. Aussi ratissait-il un peu trop large, et il se présentait parfois des personnes plus perspicaces et qui voyaient vite clair dans ce qui se jouait. Il leur était impossible de faire marche arrière. Bien entendu, ils refusaient catégoriquement cette espèce de lobotomie. Alors, ils étaient conduits dans le tristement célèbre Parc des Fous, installés face à une mer houleuse, et où ils étaient surveillés et assujettis à des tâches domestiques nécessaires au bon fonctionnement de l’organisation.

Et oui, mesdames et messieurs, les seuls gens doués de raison étaient devenus les fous de Holly Island.

- Vous allez maintenant prendre place dans le petit train qui vous emmènera dans tous les lieux que nous venons d’évoquer, la fin du circuit se situant au mémorial du Parc des Fous. Vous aurez à descendre de temps à autre pour poursuivre la visite à pied. Je vous remercie par avance de ne jamais dépasser les limites repérées par le balisage rouge et blanc. Par prudence mais aussi par respect. De toute façon, je vous accompagne et je reste prêt à répondre à toutes vos questions.

Le guide allait se diriger vers la sortie du salon d’accueil pour touristes, lorsqu’il se ravisa.
- Mesdames et messieurs. Vous avez sans doute vu mes cheveux blanc, et mon visage ridé. Le temps ne m’a pas épargné. Je l’ai devancé toujours, mais il m’a finalement rattrapé : c’est aujourd’hui mon dernier voyage dans ce petit train. Alors je vais vous demandez une chose, une seule, comme une grâce accordée à un vieil homme qui marche sur son dernier chemin.
Il eut une ombre de sourire.

- Oubliez le nom ridicule que vous avez entendu hélas bien trop souvent, ce nom de « Whitehorseman ». Cet homme exceptionnel qui s’est sacrifié pour tous les autres, se nommait Lubin Chaborier. La dernière fois que je l’ai vu, il glissait doucement dans la mer, sur sa planche de bois.
J’avais quinze ans. C’était mon père.

Haïti

Tahiti

samedi 23 avril 2016

Le mariage de ma cousine


1 - La surprise

- Tiens, Chéri, tu as un message de ta cousine.
C’est la voix de Joséphine, depuis le couloir qu’elle est en train de repeindre pour la troisième fois. Je rentre du boulot à l’instant.
- Sur la Hbox ?
- Oui, oui ; un HM. Je la reconnaissais à peine dis donc. Tu vas être surpris
- Surpris par Juju ? C’est pas gagné !
- C’est à dire qu’elle nous invite à son mariage !
- Non !
- Ben si ! Regarde le HM tu verras. Je crois que c’est pour le 12 Mars.
Il y a du rire dans sa voix et j’adore ça.

Je me dirige vers le salon et m’installe confortablement dans le grand canapé rouge.
Bon alors. Qu’est ce qu’on a aujourd’hui ? Je pose la main sur la Hbox qui devient lumineuse. Un instant plus tard, le premier hologramme stocké marche sur la table basse.
Marrant de voir mon boss ainsi. A peine un mètre de haut (nous avons choisi un appareil de classe B). Il souhaite que nous aboutissions impérativement avant la fin du mois sur un dossier … déjà bouclé depuis une semaine. Il précise aussi que les prototypes reçus de Pluton sont parfaits. Manquerais plus qu’avec douze mains et huit paires d’yeux les plutoniens bossent mal. Aussi aimable que d’habitude mais toujours un peu à la rue, le boss. Tiens, il faudra que quelqu’un ose lui expliquer que la communication par hologramme est assez différente de celle avec les anciens téléphones, car on vous voit tel qu’on est quand on envoie le message. Soit, il s’est réveillé dans la nuit en pensant à moi, ce qui me flatte, soit il va au bureau en pyjama.

Bon. Ma cousine Juju. Ah, la voilà.
Une petite Juju sur la table du salon, ça c’est amusant. Toujours aussi splendide, la rousse incendiaire. On a le même âge, ou presque et on a été assez proches à l’adolescence. Maintenant c’est de l’histoire ancienne … Je regarde et j’écoute sidéré ma belle cousine. Plusieurs fois, car la communication n‘est pas terrible. Je finis par éteindre la box et retourne vers une Joséphine appliquée.
- Alors ?
- C’est dingue tout de même. Elle se marie. J’en reviens pas. Par contre ma chérie, tu n’as pas très bien saisi la teneur du message.
- Ah ? Et en quoi s’il te plaît ?
- En cela que ce n’est pas le 12 Mars que nous sommes invités. Mais sur Cars 12. !

Joséphine en lâche le pinceau, ce qui n’a aucune espèce d’importance car, connaissant sa distraction légendaire elle active toujours le champ antigravitationnel autour d’elle quand elle fait du bricolage. Le pinceau flotte paisiblement devant ses longs doigts d’artiste.
- Sur Cars 12 ? C’est la planète 278, si je ne m’abuse. C’est au diable. Il faut au moins deux jours de voyage pour l’atteindre. C’est même pas dans la galaxie …
- Une journée à peine, bébé. C’est loin, certes, mais situé sur le couloir spatio-temporel le plus rapide qui soit.
- Tu crois qu’elle se marie avec un carstien ?
- Pourquoi pas. Elle est capable de tout.
- C’est vrai qu’à notre propre mariage elle est arrivée avec un poulpe de la plus haute société.
- Et l’aristocratie poulpienne n’a pas la même notion de l’élégance que nous.
- C’est le moins que l’on puisse dire. La chanson dont il nous avait gratifié était … gratinée, non ?
- C’est sûr que « Viens que je te tentacule » chanté en poulpe ancien ne pouvait faire marrer que l’oncle Emile. Sinon, tu en connais, toi des dodécarstiens ?
- On en eu un en stage l’année dernière, dans la boîte …
- Et … ?
- Il mesurait trois mètres vingt et était tout rouge.
- Et bien parfait. Ce sera raccord avec sa chevelure, alors
Joséphine éclate de rire, puis se penche vers moi : « embrasse-moi »

Je me mets sur la pointe des pieds puisqu’elle est toujours perchée sur son escabeau. Ceci a pour effet de décentrer le champ antigravitationnel, libérant le pinceau qui chute sur le parquet laissant une belle empreinte couleur taupe.
- Pas grave. Ce sont des couleurs virtuelles. Je faisais juste des essais.


2 - La cérémonie

Le mariage eut lieu dans la deuxième moitié de la période prétubérienne de Cars 12. Cela correspond sensiblement au milieu du mois d’avril terrien. Toute la famille était présente. Nous avions loué une immense bulle opaque* pouvant transporter au moins trois cent personnes. Le voyage passa rapidement tant nous étions excités à l’idée de la fête. L’arrivée sur Luxcity, capitale de 278, fut grandiose. Je ne pourrai pas mieux la décrire que L’Arpenteur le fait dans les aventures de Yaddo. Tout comme lui, nous sommes restés sur la plateforme du spatioport à contempler le coucher du premier soleil. Puis nous avons eu l’autorisation de descendre au cœur même de la cité avant que celle-ci ne s’enfonce dans le sol de la planète, pour une nuit inoubliable.

Juju et son carstien de fiancé nous attendaient. Elle était incroyablement somptueuse dans une robe en résine ambrée, moulée à même son corps de déesse. Le casrtien mesurait au moins deux mètres quatre vingt. Le poulpe aristocrate était son témoin. Juju se précipita sur moi dès mon arrivée :
- mon cousin préféré, je veux que tu sois mon témoin. Voix implorante, presque baignée de larmes, mais œil frisant. J’acceptais.

La cérémonie fut grandiose. La salle des vœux aux murs entièrement recouverts de tulle blanc et rouge, tradition carstienne, avait été envahie par une nuée d’invités venus des quatre horizons du cosmos. Androïdes mauves de XJ29, Poulpes en grande tenue, Anthroporeptilis, Cyclopes puissants de Circéa, petits martiens jaunes … Tous faisaient partie de l’élite de leurs sociétés respectives. Nous, pauvres humains, tenions notre rang au mieux, nos combinaisons d’apparat restant d’une élégance ultra raffinée.

L’officiant était un immense carstien aux yeux multicolores. Il parlait d’une voix forte, et dans la langue universelle. Le moment le plus surprenant fut lorsque tous les carstiens présents, décidèrent ensemble d’adopter une taille moyenne. Progressivement, ils se réduisirent aux environs d’un mètre quatre-vingt dix, simplement par politesse pour leurs hôtes. Cette action spectaculaire était rarissime dans l’histoire de leur civilisation. Ils faisaient en même temps preuve de leurs incroyables capacités. Ma chérie me murmura à l’oreille, qu’ils auraient pu aussi changer de couleur …

Après le consentement des deux époux applaudis à tout rompre, excepté par les poulpes qui levèrent leurs tentacules au dessus de l’assemblée en signe de liesse, nous formèrent un cortège jusqu’aux pièces de réception. Des dizaines d’orchestres de tous styles et de toutes origines étaient disséminés dans des alcôves adjacentes aux grandes salles. Partout, des buffets monstrueux regorgeaient de mets étonnants. Une brigade de serveuses et serveurs nous attendaient. A peine les portes ouvertes, ils exécutèrent un ballet parfaitement réglé et bientôt tous avions en main une flute de champagne de France. Le reste de la nuit se passa en danses, chants, discours divers, jeux et il faut bien l’avouer colossales beuveries. De nombreux couples s’éclipsèrent même dans les chambres avant de réintégrer discrètement la soirée. Je dois reconnaître que nous fûmes l’un d’eux.

Au matin, nous assistèrent médusés à la remontée de la ville vers la surface de la planète déjà éclairée par le premier soleil. Le second faisait son apparition à l’horizon vert. La bulle opaque nous attendait sur le quai de départ. Les embrassades durèrent une éternité et le retour fut paisible. Tous dormaient.

Voilà. Juju ma belle cousine était mariée à l’autre bout du cosmos. Elle avait rejoint les hautes sphères d’une civilisation dotée d’une technologie sans équivalence. Nous ne doutions pas qu’elle serait bientôt une des femmes les plus célèbres de l’univers.
Les jeux et les rires de l’enfance s’estompent avec l’avancée de l’âge, mais je n’oublierais jamais ses lèvres fraîches offertes un soir au bord d’un lac de montagne.

* bulle opaque : moyen de transport destiné à circuler dans les couloirs spatio-temporels. Ces « véhicules » sont capables d’absorber des accélérations de plusieurs centaines de g, et de voyager à des vitesses bien supérieures à celle de la lumière





Uchronie - Le pourquoi du comment



La boîte que son père lui avait offerte pour son anniversaire, était tout à la fois splendide et colossale. Le puzzle de plusieurs milliards de pièces qu’elle contenait lui promettait des heures passionnantes et créatrices. Lui-même n’en revenait pas, tant le cadeau correspondait parfaitement à ses attentes les plus chères et les plus secrètes. Il allait enfin apporter la preuve de son exceptionnelle intelligence, comme de sa capacité à imaginer des systèmes dont la complexité n’égalait que la précision de leur assemblage.

Il était considéré dans sa famille comme un enfant normal. Ses parents regardaient ses nombreuses trouvailles sans admiration excessive et les trouvaient, au fond, assez banales. A chaque fois déçu, il retournait dans sa chambre pour y ranger soigneusement ses précieuses découvertes. Puis allongé sur son lit, il versait quelques larmes de colère et de rage et finissait toujours par s’endormir. Le lendemain, tout était oublié. Son enthousiasme reprenait le dessus et il repartait dans des utopies faramineuses, qui plusieurs jours plus tard, rejoignaient à leur tour leurs devancières dans le grand placard.

Aujourd’hui, il était comblé. Il comprenait que son père lui lançait enfin un véritable défi. La mission était sans commune mesure avec celles qui lui avaient été confiées jusque-là. Missions qu’il avait toujours menées à terme d’ailleurs, mais sans bien y prêter attention. Il est vrai que créer des équilibres dans des espaces vides, pondre des théories philosophiques sur la bien peu probable existence d’une entité supérieure, ou imaginer des limites à l’éternité restaient des occupations somme toute plutôt anodines. A la première excitation passée, la suite devenait routine et l’ennui s’installait bien vite.

Et surtout, il venait de découvrir en manipulant la boite pour l’observer sous tous les angles possibles, qu’elle portait une mention accréditant de façon définitive son hypothèse sur le challenge paternel. Il était écrit en lettres minuscules, sur un côté de l’emballage : made by Daddy ! En l’apercevant, il eut une bouffée d’orgueil car cela corroborait l’idée que, finalement, ses parents avaient tout à fait confiance en son immense talent. Le soir même il se mettait au travail.

Ils avaient ensemble conclu un simple marché. Prends le temps qu’il te faut ; nous n’interviendrons jamais au cours de ton ouvrage ; nous ne le découvrirons que lorsque tu le jugeras achevé ; tu ne nous poseras aucune question et trouveras en toi-même les solutions aux différents problèmes qui éventuellement adviendront. Il lui fallut six jours pleins pour aboutir. Il ne sortit pas une seule seconde de sa chambre, au demeurant équipée de tout le nécessaire. Ses parents avaient en plus reçu consigne de sa part de ne le déranger sous aucun prétexte. On posait les repas devant sa porte et on venait reprendre le plateau un peu plus tard, souvent à peine entamé.

Au matin du septième jour, il les appela. Après de multiples recommandations il les fit entrer dans ce qui était devenu un véritable atelier. Il était cependant rangé avec soin et ils ne virent rien. Un peu décontenancés, ils se tournèrent vers lui, qui souriait doucement.
- Restez là. Ne bougez pas. Regardez juste devant vous.
- Mais il n’y a rien à voir, tenta son père.
- Patience, patience Daddy.

Dans un bruit métallique il ouvrit le grand rideau. Devant eux, un infini de galaxies, de planètes, d’étoiles était suspendu dans un univers sans limite.

En riant à moitié derrière des larmes claires, sa mère bredouilla :
- Je n’ai jamais rien vu d’aussi beau.
Elle serrait la main de son fils d’un côté et de son homme de l’autre.
Celui-ci scrutait avec attention le moindre recoin de cet univers dont il percevait la prodigieuse ingéniosité. Puis en se retournant vers son fils :
- Mais, Petit, n’as-tu pas trouvé autre chose dans la boite ?

Le jeune homme sourit à nouveau.
- Je me doutais bien que tu allais m’en faire la remarque … et que tu m’as bel et bien tendu une sorte de piège …
Son père le coupa fièrement :
- Le coup imparable de : la pièce en trop !

Il sortit du fond de sa poche une bille d’un bleu profond. Il la tint un moment comme en lévitation au-dessus de la paume de sa main, la laissant au regard de ses parents.
- Tu vois Dad, cette pièce n’est pas en trop ; elle est en plus. Et c’est bien différent. En effet, c’est elle qui est la clef de mon œuvre.
- Mais où vas-tu la poser ? Demanda son père éberlué.
- Je ne vais pas la poser puisqu’elle n’a pas de lieu dédié. Je vais la lancer au hasard, et lui laisser trouver seule sa place, unique, absolue. Regardez comme elle prend encore plus d’éclat, comme elle semble s’animer. Elle tourne déjà sur elle-même. Ecartez-vous.

Il ramena son bras derrière lui et d’un geste ample, projeta la sphère dans l’espace. Ils la suivirent des yeux jusqu’à ce qu’elle s’arrête près d’une superbe étoile. Une autre bille plus petite la rejoignit. Tout se suspendit immobile, comme des acteurs en attente du premier lever de rideau.

- Et maintenant regardez bien :
Il frappa dans ses mains.
En un fragment de temps, l’univers neuf se mit en mouvement. Galaxies, étoiles, planètes entamèrent leurs rotations infinies. Une musique issue même de leur danse les enroba comme une chaude caresse.

Là-bas, dans un coin de cet univers qui semblait s’étirer sans cesse, une petite planète bleue commençait sa course autour d’un soleil brûlant.

Et si, il avait raté le lancer.
Et si, il avait pu décupler sa force et envoyer la planète bleue tout au bout de l’univers.
Et si, il n’avait pas trouvé « la pièce en trop ».
Et si, il l’avait gardée dans sa chambre pour jouer avec elle le soir, dans son lit, comme avec un bilboquet …

Où serions-nous, nous ?


dimanche 17 avril 2016

Le beau dimanche

Sur la chanson de Ferré (texte de Jean Roger Caussimon) : "C'était bath le temps du tango".

Du papier peint, de la peinture
Ou des émaux couleur azur rien n’est trop beau pour ma princesse
Au magasin de fournitures
Pour décorateur’ en rupture j’ne baigne pas dans l’allégresse
Pas oublier la colle blanche …
J’en ai déjà plein mon chariot et je pense « ah le beau dimanche ! »
Va falloir me rel’ver les manches
Si j’veux offrir comme un cadeau
A mon amour aux yeux pervenche                          

Un écrin pour ses roploplos !

Car cette gonzesse faut pas s’y fier
C’est du canon d’la bombe glacée et elle aim’ bien prendre ses aises
Et j’ai beau tout l’temps travailler
Six jours entiers c’est pas assez pour satisfaire son corps de braise
Et même si elle fait pas d’manière
Pour m’accueillir dans son dodo, il faut bien créer l’atmosphère
Alors pour partir en croisière
Pour voguer sur sa libido
Et satisfaire ma passagère
Il suffit pas d’un doigt d’porto

Des idées, j’en avais des tas
Elle a choisi du taffetas, c’est si joli aux murs d’la chambre
Y aura des aurores boréales
Et des reflets de carnaval, ça f’ra du soleil en décembre
Alors dans ce décor de rêve
Elle me jouera son bel canto et je goûterai sur ses lèvres
Ses longs baisers tremblants de fièvre
Ses soupirs allant crescendo.
Toutes les nuits seront trop brèves                             

Et je serai son maestro

Et me voilà au pied du mur
J’ai le tissu et la guipure, et les agrafes et les baguettes
J’ai vérifier les mesures
J’ai pensé même aux embrasures, au baldaquin pour sa couchette
La déco c’est plutôt fastoche
A la télé chez Damidot, et moi j’en ai dans la caboche
Pas l’moment d’avoir la pétoche
Pour bien tendre le calicot
Et ne pas risquer l’anicroche …

… J’me suis foutu un coup d’marteau


La vie est un sport d'endurance

J’ai essayé d’écrire ce texte sur la musique de «La Supplique pour être enterré sur la plage de Sète» de Georges Brassens, à qui j’ai de surcroît, volé quelques tournures.
Que le bon maître me le pardonne.''


A peine es-tu sorti du ventre de ta mère,
Que tu entends déjà propos et commentaires,
Des prophètes et des imbéciles,
Venus pour se pencher au-dessus du berceau
Et donner leur avis sur le petit nouveau,
Fées ridicules et futiles.

Il sera caporal comme Napoléon,
Il sera général déclare l’oncle Léon,
Voyez combien il me ressemble,
Plutôt apothicaire pour le cousin Catule,                         

Ou même fonctionnaire espère la tante Ursule,
Jolies perspectives il me semble.

Depuis la maternelle jusqu’à la faculté,
De tous ces beaux parleurs, tu devras supporter
Les principes et les critiques,
« Il te faut travailler pour bien gagner ta vie
Et tu pourras t’offrir une maison jolie »
Toi qui ne rêves que Tropique.

Si le hasard t’a fait une enfant de Vénus,
Lorsque tu atteindras tes dix-sept ans au plus,
Les garçons pour te dire leur flamme
Mettront genou à terre, te feront des promesses,
Je t’aime, je t’adore, juste pour voir tes fesses
Et au matin, bonsoir Madame.

Pour un peu que tu aies la conscience civile,
Tu voudras écouter, pour choisir tes édiles
Leurs discours et leurs fariboles,
Tu sauras au travers de leur flagornerie,
De leurs accents sacrés au nom de la patrie,
Qu’ils n’attendent que ton obole.

Si dans la religion, tu cherches des raisons
D’espérer pour ton âme un peu de compassion,
Tu comprendras que pour chacune,
L’Evangile et la Bible, la Torah, le Coran,
Soutane ou djellaba, Kippa ou bien turban,
Il n’est de bonheur que posthume.

Quand de la société, avec obstination,
Tu graviras enfin le dernier échelon,
On admirera ton courage,
Alors tu recevras, et la main sur le cœur,
Emu, le grand cordon de la légion d’honneur,
De ta renommée l’apanage.

La camarde viendra aux dernières lueurs,
Souffler à ton oreille que pour toi il est l‘heure,
Il faut tirer ta révérence,
Mais là point de discours et point d’atermoiement,
La Faucheuse est exacte et ne perd pas de temps,
Il est plus tard que tu ne penses.

Et tu écouteras, couché dans ton cercueil,
La petite Isabelle, écrasée par le deuil,
Avec une grâce infinie,
Les yeux baignés de larmes, dire ton panégyrique,
Et toi tu penseras, un peu mélancolique,
«La comédie est bien finie. »

Alors que tu n’aspires qu’à la paix sépulcrale,
Sur les coups de minuit, dessous la pierre tombale,
Soudain entreront dans la danse,
Le vieux tonton Léon, et la cousine Hortense,
Et puis la tante Ursule, et sa fille Clémence,
Pour les fâcheux, point de vacances

Le vieux tonton Léon, et la cousine Hortense,
Et puis la tante Ursule, et sa fille Clémence,
Pour les fâcheux, point de vacances.





Où sont passées mes chaussettes

Sur « Madeleine » du Grand Jacques (BREL)

Où sont passé mes chaussettes
Celles qui sont couleur lilas
Peut-être avec sa nuisette
Quelle nuit que cette nuit là !
Où sont passé mes chaussettes
Elles doivent être par là
Dans l’frigo, la boît’ aux lettres
Le pire est qu’j’m’en souviens pas
Ces chaussettes c’est mon chic                                              
C’est mon élégance à moi
Même si elles font un peu beatnick
Comme disent ceux qui ne savent pas
Faut qu’je retrouve mes chaussettes
Même si j’en ai déjà trente trois
Si j’les retrouve ça s’ra chouette
Mes chaussettes couleur lilas

Elles sont tellement jolies
Elles sont tellement tout ça
Elles sont toutes ma vie
Ces chaussettes que j’retrouve pas

Où sont passé mes chaussettes
Mais j’ai pas perdu que ça
J’sais pas où est ma liquette
Ma liquette couleur fuchsia
C’est une super chemisette
En poils longs d’alcantara
Avec des fils en belette
C’est ma tenue de gala
Cette chemise c’est mon smoking
Avec j’suis mister Magoo
Même si j’ressemble un peu au King
Comme disent ceux qui n’ont pas d’goût
J’ai perdu ma chemisette
Ma chemise couleur fuchsia
J’pourrais plus faire des claquettes
Pour amuser les nanas

Elle est tellement jolie
Elle est tellement tout ça
Elle est toute ma vie
Cette chemise que j’retrouve pas

Faut dire qu’avec la minette
Que j’ai ramenée chez moi
Et cett’ nuit de galipettes
Les amis, j’vous raconte pas
On s’est bu toute l’anisette
Puis on a joué à chat
Elle a pas froid aux mirettes
Les amis je vous dis qu’ça
Cette souris c’est mon Brésil
C’est mon Argentine à moi
Même si elle est anglophile
Comme disent ceux qui ne l’aiment pas
Hier soir dans ma chambrette
Il y avait du radada
Il est vrai qu’une majorette
Quand ça danse on n’entend qu’ça

Elle est tellement jolie
Elle est tellement tout ça
Elle est toute ma vie
La petite qu’est venue chez moi

N’empêche qu’avec ma liquette
J’avais pas fait attention
Et pareil que mes chaussettes
J’ai perdu mon beau caleçon
J’ trouve le tutu en dentelle
Le képi et le bâton
Les bottes de la demoiselle
Mais je trouve pas mon caleçon
C’était un cadeau de Noël
Un slip du genre kangourou
Même si c’était habituel
Qu’on m’dise qu’j’étais plus dans l’coup …
Mais voilà que ma bergère
Me dit qu’elle avait eu froid
Qu’elle a mis toutes mes affaires
Elle est belle j’en reviens pas !

Elle est tellement jolie
Elle est tellement tout ça
Que j’vais refaire ma vie
Avec ce petit lot là …

Ah … c’était au temps où Jacques Brel chantait
C’était au temps où les filles m’aimaient
C’était au temps où Jacques Brel chantait
C’était lorsque l’arpenteur arpentait …


samedi 16 avril 2016

Pantoum malais

J'ai embrassé l'aube d'été
Lorsque près de moi tu tanguas
Dans ta splendide nudité
Vers les confins du Katanga

Lorsque près de moi tu tanguas
Je découvris ton corps gracile
Vers les confins du Katanga
Embaumés de parfums subtils

Je découvris ton corps gracile
Tu en offrais tous les rivages
Embaumés de parfums subtils
Vibrants appels au doux voyage

Tu en offrais tous les rivages
A mes caresses impudiques
Vibrants appels au doux voyage
Vers les chauds secrets de l'Afrique

A mes caresses impudiques
Tu répondais en m'entraînant
Vers les chauds secrets de l'Afrique
Que tu gardais jalousement

Tu répondais en m'entraînant
De tes collines à tes vallées
Que tu gardais jalousement
Comme talisman de sorcier

De tes collines à tes vallées
J'ai conservé dans ma mémoire
Comme talisman de sorcier
Le doux velours de ta peau noire

J'ai conservé dans ma mémoire
L'orbe de tes seins métissés
Le doux velours de ta peau noire
La nuit sans fin qu'on a tissée

L'orbe de tes seins métissés
Soulevé par ton souffle court
La nuit sans fin qu’on a tissée
Vibrait de ton doux chant d’amour

Soulevé par ton souffle court
Ton corps de liane en se tendant
Vibrait de ton doux chant d’amour
Avant de fuir dans le néant

Ton corps de liane en se tendant
M’enroulait dans sa mélopée
Avant de fuir dans le néant
J'ai embrassé l'aube d'été.


La croisée des amours

Quelques fleurs en brassée sur une pierre éteinte
Où dort à tout jamais un amour de vingt ans
La jeune fille pâle qui serrait ses mains jointes
Le regard vers les nues pleurait son cher amant

Il y eut Kate 
Et ses tendresses
Parfumées
Et ses timidités de violette
Elle s’entourait
De voiles légers
Pour mieux montrer
Ce qu’elle voulait cacher

Hanna me consola.
Ses yeux couleurs d’Iris
Où j’aimais me noyer 
Et ses éclats de rire
Quand je parlais d’amour

Et ses fausses pudeurs
Quand mes doigts la frôlaient

Illuminèrent mes jours

Aucune rose rouge nulle blanche orchidée
Ni l’étoile naissante au bord du demi-jour
Qui piquetait le ciel de son œil étonné
Ne pouvaient apaiser son chagrin au long cours

Jasmine
M’entraîna
Dans des danses lascives
Et de savants ébats
Son lit qui ruisselait
De tissus opulents
Était un vaisseau ivre
Où je voguais souvent

Cathy la musicienne
Au parfum de lilas
Offrait ses lèvres fraîches
A mes baisers fiévreux
Criait pendant l’amour
S’enivrait de vodka
Et se levait la nuit
Pour jouer du Mozart

Quand elle se releva pour quitter en silence
Ce jardin de douleur qui allait devenir
L’unique intention de toutes ses errances
Mes amantes étaient là changeant leurs souvenirs

Kate avait apporté un bouquet de violettes
Hanna des fleurs d’iris qu’elle tenait sur son cœur
Jasmine ce jasmin qui vous monte à la tête
Et Cathy du Lilas de toutes les couleurs.

Brocéliande


Je traverserai Brocéliande
Pour marcher sur tes traces
Au printemps
Sans cesse sillonnerai les landes
Pour voir où tu te caches
Et longtemps

Mes Elfes ailés voleront
Dessus les eaux profondes
Et toujours
Mes centaures encore marcheront
Vers les confins des mondes
A leur tour

Mes licornes aux pieds fragiles                                        
Porteront des messages
En latin
Aux magiciens les plus habiles
Aux plus secrets des mages
A Merlin

Enfin j’enverrai mes cohortes
De dragons flamboyants
Sur les voiles
Des vents déchaînés pour qu’ils portent
Mes peines et mes tourments
Aux étoiles

Quand tu auras vu ma souffrance
Alors tu comprendras
ô ma reine
Le cri de ma désespérance
Et tu me reviendras
Souveraine

Mais moi, je ne te voudrai pas.


lundi 11 avril 2016

Derrière le mur

Il pensait : le temps c’est comme un cancer. D’abord il n’existe pas. Puis il s’instille doucement. On commence à l’entrevoir, ailleurs, chez les autres. Puis il pénètre en nous. Il métastase sournoisement. Il ravage au jour le jour, en douce. Enfin il apparaît. Dans la lumière crue. Au fond d’un miroir. Les paupières plus lourdes. Le regard plus pâle. Plus on le sait plus il nous dévore. Et demain s’éloigne un peu plus chaque nuit.

Il pensait : qu’est-ce que ça veut dire, "aujourd’hui" ? Et hier, et avant hier … Des jours, des années la tête appuyée contre des parois sales, à écouter. Grincement des serrures. Frottement des chaînes. Claquement des portes. Cris, souvent. Hurlements, parfois. Douleur, folie, néant.
Il pensait : je sors. Il marchait.
Quelle est cette foule immense ? Qui sont ses filles débordantes de vie avec leurs seins ronds et leurs yeux clairs, et des rires plein la gorge. Qui sont ces gens ? Où vont-ils en chantant ? Vers où m’entraînent-ils moi qui n’aie nulle part où aller ?
Il ne reconnaissait presque plus rien. Le cancer du temps avait aussi rongé la ville.
Il pensait : je ne veux que la paix, l’oubli. Retrouver ma maison peut-être. Vide sans doute. Tous sont partis, ou morts. Ils ne me reconnaîtraient pas. Mon corps est dur, sec, noueux, sans pitié. Il marchait. Des drapeaux passaient, vibrant. Des cortèges entiers, jeunes, vieux, femmes, hommes, enfants. On l’embrassait, on lui serrait la main et puis on filait en riant.

La foule se faisait plus dense, plus mouvante, plus humaine, plus liée. Il pressait le pas machinalement. Avec les autres.
Il sut qu’il arrivait. Au détour d’une ruelle, le mur était là. Le mur du figement des temps. Le mur de la haine, de la peur. Le mur du défi à la raison.
Il pensa : c’est là qu’il m’ont pris. Avant. Il y a longtemps.
Il commençait à comprendre. Les pioches, les pics, les poings, les ongles. Le mur se cassait, se brisait. Les brèches s’ouvraient. Les mains se tendaient de parts et d’autres. Les trous s’agrandissaient.

Puis le silence soudain. Il vint depuis l’autre côté. Puis gagna la foule en vague, éteignant peu à peu les cris en murmures, les murmures en silence. Les larmes remplacèrent les chants et les bravos. Les regards s’accrochaient en une chaîne traversant le temps. Une musique avait pris toute la place.
Il se hissa au sommet du mur. Il le vit.
Il l'entendit abolir le temps. Abolir les années de fers. Abolir la folie des hommes.
Il était là, irradiant. Un homme libre assis sur une chaise dans les gravats. Un homme libre au milieu des autres. Un homme qui, en ce moment unique, était tous les autres hommes. Un homme libre, assis avec son violoncelle et jouant Bach.

Le temps était mort et lui, renaissait à la vie.

Mstislav Rostropovitch devant le mur

Le mur en 1961

Le 10 novembre 1989

dimanche 10 avril 2016

Bac de Noeuds - Le première rencontre de Tardy et Dalban


Salut, mon vieux Georges. Je me fais un peu rare ces temps-ci, mais les bandes qui tiennent les marchés de la came et des filles sont toutes énervées. Les places de Vaulx-en-Velin et de Rillieux sont en train de changer de main, et tu connais les mecs de maintenant, ça défouraille pour un oui pour un non. Il se passe pas une semaine sans qu’on ait des macchabées dans les pauvres plates bandes des cités, si c’est pas dans les entrées taguées des barres où l’on meurt aussi d’ennui. Une sacrée routine, tu peux me croire, de ramasser des corps quasi adolescents, avec les yeux encore ouverts qui semblent te demander pourquoi eux. La misère n’a ni frontière, ni scrupule, ni éducation. Elle frappe les plus faibles et engraisse les plus salauds.
Alors ce soir, j’ai eu envie de replonger dans mes souvenirs, retrouver une illusion de jeunesse, peut-être ; va savoir ce qui peut passer par la tête d’un vieux flic en manque de whisky. L’Antoinette est fermée, Dalban en repos et j’évite d’aller chez Hortense en période de blues. Alors voilà :


L’histoire se passait au tout début des années soixante dix. Jeune inspecteur tout frais, tout beau, je venais juste d’intégrer la brigade, mais sur Saint Etienne. Un matin on est appelé dans le massif du Pilat, aux limites de notre juridiction. C’était l’été et tout le monde s’en foutait un peu : une vieille qui disait que son petit fils avait trouvé un homme dans le caniveau, ça sentait le fait divers sans intérêt. Du coup le chef me confia à la fois l’affaire et la 4L de service …
- Madame Angèle Bonnard …Madame Bonnard …
- Voui ? Fait une voix dans la cour. Des pas vifs et la porte en bois brûlé par le soleil s’entrebâille.
- Vous êtes le monsieur de la police ? Ben c’est pas trop tôt miladzeu !

Petite, rabougrie, vêtue de noir, la peau comme une reliure de vieux cuir, une voix aiguë de trop avoir appeler les poules aux grains. Elle me regarde avec un regard bleu un peu moqueur.
- Dites, c’est pas à côté, madame.

- Voui, voui, c’est vrai que vous venez de Santsiève. Fouilla quelle histoire. C’est le matru qui l’a trouvé ce matin. Je lui avais dit « Mimi, c’est le jour des gandoux. Porte les équevilles au bout du chemin, tu veux ». Il est parti en courant, comme toujours et est revenu tout aussi vite mais en hurlant « Mémé, Mémé, y a un monsieur petafiné sur le bord de la route ». Alors j’y suis montée et c’est là que je l’ai vu, tout ramassé et tout rouge. J’ai ben vite compris qu’il était pas fin soûl comme ça arrive des fois. Alors j’ai dit au Mimi de pas regarder ça. Et puis, je me suis approchée. Je me suis mise à cacasson, à mon âge dite donc, et je l’ai reconnu. Voui !
- Reconnu ?
- Ben tiens, bien sur. C’est le brigand de grand chemin, le Robert Pitaval que la mère habite à Cussieux, là en contrebas. Il était venu deux ou trois jours après être sorti de prison. Je l’avais vu … attendez … tiens pas plus tard qu’hier. On avait été cueillir des framboises sur la route du semitierre avec le pillot. Il donnait un coup de main à sa mère pour essorer les draps. Ils les tordaient fallait voir comment. Je me suis dit que c’était un drôle de moment pour faire la lessive des lits, mais comme il était pas souvent là, la vieille avait du en profiter. On les a salués et elle nous a crié qu’il l’emmenait le soir à la gare pour prendre le train de Lyon, passer quelques jours chez sa fille. Quand même, ça a beau être un pas grand chose, ça fait bien de la peine. Beauseigne ! Pensez donc monsieur, je l’ai connu tout petit.

Robert Pitaval ! Pour une affaire de rien, je tombais sur un grand de la truanderie stéphanoise. Mac à ses heures avec des filles rue du Clapier, mais aussi tueur d’occasion et surtout braqueur de la plus grande banque de la région. Il avait fait 10 piges pour ce coup là, mais on n’avait jamais retrouvé le magot. On le surnommait «le professeur » du fait qu’il avait exercé au lycée Fauriel, en histoire. Le destin prend parfois de drôle de tournure

Accompagné d’Angèle, je me rends sur les lieux et découvre le cadavre couché sur le côté gauche en chien de fusil avec un trou juste derrière l’oreille. Les herbes sont maculées de sang. Une trace de pneu sur le gravier. Exit « le professeur ». En notant mes observations, je m’aperçois que la main droite, seule visible, semble serrer un bout de papier ou de tissu. Je m’approche et parviens à grand peine à ouvrir les doigts déjà rigides pour sortir délicatement une feuille quadrillée, froissée, un peu grisâtre où je lis : « les chiffres », puis en dessous « Alex l G ». Ceci me laisse pour le moins perplexe, mais le bonhomme est paraît-il un spécialiste de l’énigme.
- Angèle, on peut téléphoner quelque part, ici ?
- A votre avis ? Je vous ai appelé par sémaphore ? Elle hausse les épaules en souriant.
- Chez madame Granotier. C’est la maison qu’on voit le toit après le tournant. Vous y allez de ma part, elle est très gentille. Tiens c’est drôle, mais son fils est né là, aussi, Ils étaient bien copain avec Pitaval. Et puis les chemins se séparent. Lui il est devenu Obtrétri … obstré … enfin quelque chose. Toubib pour les femmes, quoi ! Il fait ça à l’hôpital Bellevue. De mon temps, quand c’était le moment, on faisait cuire de l’eau dans les lessiveuses et on mettait au monde dedans la chambre, avec la sage femme. Et puis deux jours plus tard on allait traire les vaches … Enfin, je sui peut-être née cinquante ans trop tôt, finalement. Elle soupira.
- Je reste là va ! Personne viendra vous le prendre votre mort !

Après un compte rendu circonstancié à mon chef, je rejoins Angèle, recouvre le corps avec une couverture trouvée dans la 4L et me prépare à attendre.
- Dites, vous voulez pas un café ? J’ai une débéloise vraie pleine dans le coin du fourneau. Allez, il va pas s’envoler le Pitaval de toute façon. Et pis le petit sera content de vous voir.

Elle sortit du buffet en formica jaune, deux bols en arcopal qu’elle posa sur la toile cirée. La boite à sucre en plastique blanc avec le couvercle rouge les rejoignit prestement et elle versa à chacun une grande rasade de café bien noir. Le petit Michel surgit de nulle part et vint s’asseoir en face de moi en me dévisageant d’un air curieux.
- Alors, t’es policier ?
- Ben oui. Et toi, tu veux faire quoi plus tard
- Archéologue.
- Dis donc, c’est pas banal. Tu travaille bien à l’école ?
- Pensez-donc, répondit Angèle il a juste dix ans et il passe en cinquième. J’sais pas comment il fait, mais il comprend tout, tout de suite.
- Et ton Papa et ta maman, ils sont où ?
- Papa est parti très tôt ce matin pour aller acheter un taureau à la foire de Bourg, répondit fièrement Michel. Et maman elle pique les fesses des gens malades. Enfin, je crois que ça s’appelle infirmière à domicible. Puis sans transition :
- Moi c‘est l’histoire que j’aime le mieux à l’école. Surtout la préhistoire et l’antiquité … et puis l’Egypte aussi. C’est vachement bien l’Egypte
- Dis pas « vachement », Mimi, reprit Angèle avec un geste de la main
- N’empêche, que c’est drôlement bien quand même …

Machinalement je dépilais le billet trouvé dans la main de Pitaval. Pris d’un sorte d’inspiration je le montre au gamin :
- Est-ce que ça te dirait quelque chose ça ?
- « les chiffres » ben non … mais « Alex lG » ça me fait penser à Alexandre le Grand.
Alexandre le Grand, pensais-je. Et Pitaval qui était prof d’histoire
- Vous avez un dictionnaire, ou une encyclopédie ici ?

Angèle me regarda d’un air bizarre, mais Michel s’écria soudain
- J’ai tous les « Tout l’univers » et y a pleins de truc d’histoires dedans. Même qu’ il y a une photo de Ramsès II
- On va les voir, si tu veux bien. Vous permettez madame ?
- Dis oui mémé, et puis je lui ferai montrer Mireille.
- Enfin, Mimi ta ratapena n’intéresse pas monsieur l’inspecteur. Puis se tournant vers moi
- Il l’a recueillie la semaine dernière, un peu abîmée et il l’a soignée. Je crois qu’il a réussi à la guérir. Seulement il veut pas encore la laisser partir. Dites lui vous, que la prison c’est pas une vie. Allez y, montez, mais regardez pas le ménage hein ..

Dans la chambre du haut, on a ouvert les Tout l’Univers et on a trouvé la photo d’Alexandre le grand.
- Il est beau hein. Mais attend je crois qu’il y en a une autre où il tranche le nœud gordien avec son épée.
- Qu’est ce que tu as dit, là ?
- Ben si, tu sais, le nœud gordien. Il fallait qu’il le coupe pour continuer ses conquêtes.
- T’es un vrai génie, Mimi. Je l’embrasse et descend les escaliers quatre à quatre..
- Madame Angèle, vous m’avez bien dit que vous aviez vu Pitaval et sa mère essorer les draps ?
- Ben voui.
- La mère Pitaval elle a pas de machine à laver, alors ?
- Non, non, trop serrée du cordon la vieille.
- Qu’est ce qu’on en fait après des draps ?
- Z’en avez de bonne vous. On les tord bien, puis on joint les deux extrémités que l’on passe dans la boucle. Puis on les mets dans un grand baquet pour les emmener au prés où on les étend pour les faire blanchir et sentir bon.
- Donc elle a dû entreposer les draps quelque part et ça n’a sans doute pas bougé puisqu’elle avait son train à prendre. D’accord ?
- Voui. Elle les met sous le chapit. Ils doivent encore y être.
- Je vous emmène, on va trancher le nœud gordien, madame Angèle.

On a trouvé la lessiveuse pleine de draps noués. On les a dénoués un à un. Dans le dernier il y avait une feuille quadrillée protégée par une enveloppe en plastique. Sur la feuille, un numéro de compte en Suisse. La boucle était bouclée. Pitaval avait laissé une dernière énigme, juste au moment de mourir, comme un dernier clin d’œil.

Quand les collègues sont enfin arrivés, j’ai pris le chef à part et lui ai tout expliqué. Il m’a félicité chaleureusement. J’ai dit que c’était grâce au petit Michel. Il a fait tss, tss, tss. Puis il m’a présenté un gars en costard bleu :
- Lui c’est Augagneur,. Jacques Augagneur. Il est lyonnais. Vous allez faire équipe ensemble. Et il nous a laissé la 4L et notre après midi pour rentrer à Sainté.

Avant de partir, je suis allé embraser Angèle et remercier le petit.
- A bientôt monsieur l’inspecteur.
- Sait-on jamais. Et puis, Michel, oublie pas de libérer Mireille.
- Promis monsieur, je le ferai ce soir.

Je lui serrais la main cérémonieusement et montais dans la voiture où m’attendait le dénommé Augagneur. Je le regardais du coin de l’œil. On devait avoir le même âge. Je ne me doutais pas qu’il allait devenir mon seul vrai ami, un coéquipier formidable et un flic brillant. Je ne me doutais pas non plus que son amour de la langue verte et des films des années cinquante allait lui valoir le surblaze de Dalban.
Après quelques kilomètres dans la montagne, juste avant d’arriver à Chaubouret, il me demanda :
- C’est qui Mireille ?
- Une chauve souris. Je t’expliquerai
- Pas la peine. Quand j’étais gone j’en ai eu une. Elle s’appelait Claudine.
- Tu l’as laissée partir ?
- Un peu mon neveu !

Vocabulaire Gaga (parler stéphanois)
- Miladzeu : interjection fréquente : « mes aïeux »
- Saintsiève : Saint Etienne (ou Sainté)
- Fouilla : interjection encore plus fréquente qu’on peut traduire à peu près « où la la »
- Matru : gamin
- Pillot : poussin. Mot affectueux pour les enfants (mon pillot, ma pillotte)
- Gandoux : éboueurs
- Equevilles : ordures ménagères
- Semitierre : cimetière
- Petafiné : mort et par extension, abîmé, usé, cassé
- A cacasson : accroupi
- Débéloise : grosse cafetière
- Beauseigne : encore plus fréquent que tout le reste. Expression de pitié, de compassion signifiant « beau seigneur »
- Ratapena : chauve-souris



2 images du parc naturel régional du Pilat, entre Lyon et Saint-Etienne

samedi 9 avril 2016

La dernière séance chez le psy


- C’est donc là votre interprétation de vous-même ?
- En effet docteur.
- Vous être bien certain que vous ne faites pas erreur ?
- Bien certain, docteur.
Il pousse un soupir.
- Alors, je suppose que vous n’aurez aucune peine à me donner les explications qui éclaireront d’un jour nouveau l’image que j’ai construite de vous, après ces longues heures d’analyse ?
- Je vous sens assez persifleur, docteur. Il ramène une mèche poivre et sel sur son front dégarni, et la lisse avec soin. Il arbore un sourire presque frondeur. Je suis surpris que vous n’ayez pas d’emblée saisi toute la clarté de cette … heu … photographie de mon moi profond. Puis après un temps … docteur.
- Le persiflage a changé de camp dirait-on. Je vous écoute. Allez-y.
- Si j’osais …
- Mais osez, mon vieux, au point où nous en sommes. Il a son tic d’énervement qui le fait cligner de l’œil tout en levant le sourcil opposé.

Une respiration et d’un trait : prenez le divan, je prends le fauteuil.
- On me l’avait encore jamais faite celle-là ! Il hausse les épaules et s’étend sur le divan. On est pas mal finalement. Comptez pas sur moi pour faire la conversation … docteur …
- Ca changera pas beaucoup … docteur.

- Vous ne dites rien ? …
- C’est énervant, hein !.. Bon allez, finissons-en. La photographie de moi-même par moi-même.
- J’ai hâte !
- Ne m’interrompez pas sans cesse, s’il vous plait. La mèche retombe. Il la plaque soigneusement. Elle dessine un surprenant arc de cercle finissant en accroche-cœur au dessus de l’oreille droite.

- Six oeufs et une balle de tennis sont mon portrait craché. Ou plus exactement le portrait de mon moi. Je suis à la fois plein et vide. Air et matière. Je peux me répandre au moindre choc, mélangeant mes émotions sans distinction. Je sais aussi résister aux coups et reprendre ma forme initiale en un instant. On me marche dessus et je me brise. On me marche dessus et je fais chuter l’imbécile. On me lance contre un mur et je ne suis plus rien qu’une tache écoeurante et peu ridicule. On me lance contre un mur et j’emmagasine de l’énergie pour revenir frapper plus fort encore l’ennemi. Je suis à la fois esprit et matière. Viscères et âme. Vous dites avec des mots savants qu’il existe certainement des liens entre cerveau et esprit. Mais cette assertion éloigne plus l’âme du corps qu’elle ne les rapproche. Elle prouve même l’existence d’une âme, d’un esprit indépendant qui parfois resurgit du carcan où il est enfermé. Mieux encore l’œuf et la balle, sont le soma et la psyché. Le corps et l’esprit. L’esprit infini mais non libre dans son enveloppe, et le corps fini bien sur et englué dans sa complexité. Pourquoi plusieurs œufs ? Mais parce qu’il y a plusieurs corps successifs pour une même âme.

Il s’est levé et marche de long en large avec de grands gestes, réajustant sans cesse ses rares cheveux sur son crâne.
- Ca vous en bouche un coin, ça mon vieux. Et je vais vous dire pour finir.

Il est venu s’asseoir au bord du divan, devant le docteur effaré.
- Je vais vous dire, mon vieux. Le bipolaire, et bien il vous emmerde !

Il se redresse. Fait le geste de brosser ses habits avec la main, sort un billet de cinquante euros de sa poche et le lance sur le divan avant de sortir.
- Pour le petit personnel.
La porte claque violemment faisant tomber une poussière de plâtre sur le bureau d’ébène.


jeudi 7 avril 2016

Libre pavane

C’était au solstice. A la lisière ténue où la nuit frôle le jour. Elle était belle comme un maléfice. Des yeux charbons noirs et un corps de souveraine. Une reine des peuplades des bords du monde. Ses lèvres étaient un philtre doux amer, ses hanches un creuset d’incandescence sauvage. Ecoutez, peuples soumis voués à la médiocrité, écoutez le souffle majestueux des temps sans dieu. Voyez s’avancer celle qui vient à pas lents, marcher sur vos maigres destinées. Regardez sa morgue, son ironie, son infini mépris pour ce que vous êtes. Inexorable, elle est la vie. Vous qui croyez vivre, vous restez immobiles et pantelants, aveugles à la vérité des choses.

Ecoutez si vous le pouvez encore,
Le rythme lent de la faux. Ecoutez
Le lourd frou-frou du noir manteau.

Et moi, j’étais là aussi, intensément près d’elle. Et j’ai vécu. Et nous avons fait l’amour, entourés du silence bruyant des ombres de la nuit. J’ai vécu ses orages, ses soleils, ses éclairs, ses éternités. J’ai cloué son ventre aux nuages, j’ai bu sa liqueur jusqu’à l’ivresse. Elle m’a englouti, m’a absorbé. Je l’ai écartelée, elle m’a déchiré, m’a écorché. Je suis mort tant de fois, mais à chaque fois je vivais d’avantage. Et puis le matin a blanchi le coin du ciel. Et je suis resté là, solitaire, exsangue.
Ecoutez les chœurs, écoutez ces voix pures mêlées aux timbres graves et la voluptueuse envolée des cordes.

Ecoutez si vous le pouvez encore,
Le rythme lent de la faux, écoutez
Le lourd frou-frou du noir manteau

Et regardez-moi.
Repaissez-vous de ma peine. Réjouissez-vous de ma douleur. Je vois que vous souriez. Ce veule sur la mollesse de vos visages est ma revanche. Vous êtes des morts vivants. Je suis un vivant mort et je triomphe de vous. Je suis à jamais de ceux qui savent ; vous, vous ignorez même de ne pas savoir. Ce qu’est l’amour, ce qu’est la vie. A la fin du spectacle, quand vous aurez éteint vos postes nourriciers, vous irez baiser vos femmes et vous endormir sur leurs corps adipeux et insatisfaits, dans la cruelle désillusion d’un plaisir vulgaire .

Ecoutez si vous le pouvez encore,
Le rythme lent de la faux. Ecoutez
Le lourd frou-frou du noir manteau.

Dans ce petit jour où le chanvre de la corde me caresse, où la lame tranche mes veines, où le poison va incurver mon corps tendu, me dévoilant enfin l’obscure lumière, je ne vous hais pas car vous ne méritez pas la haine.
Quand à votre tour, vous serez chancelants au bord de la fosse commune, quand vous verrez le creux de la terre où il vous faudra pourrir, peut-être aurez vous une vague réminiscence de ce que je fus. Un vagabond des limbes, un rêveur immortel, un diseur de mots, un poète insatiable.
Mais je ne vous montrerai pas le chemin.

Ecoutez
Le lourd frou-frou du noir manteau,
Le rythme lent de la f…

Un retour mouvementé

Aube immaculée, longue barbe blanche inspirant inévitablement le respect, le chef de chœur attendait que le calme s’installât
Sa voix puissante retentit alors :
- Bon, alors, c’est d’accord. tout le monde sait ce qu’il a à faire et connaît sa partie ?
- oui répondit le chœur en chœur.
Les Séraphins, les Vertus et les Chérubins assuraient les voix de soprano, les Principautés, les Trônes étaient les alti et les ténors, les Archanges les barytons et enfin, les Dominations et les Anges les voix de basse.
- alors, il arrive ? Demanda le chef à l’attention de l’huissier.
- oui, oui, le voilà.
- allez, 1, 2, 3 :
- happy birthday to you
happy birthday to you
happy birthday to you, Jésus
happy birthday to you

Le ciel tremblait de ces milliers de voix cristallines ou puissantes.
Jésus les regarda, hagard. Dans son linceul blanc, il paraissait encore plus pâle. Ses mains et ses pieds transpercés, son côté traversé par la lance du soldat le faisaient encore souffrir

- bon 33 ans, mon fils, fit le chef.
- mais nom de Toi, qu’est-ce que c’est que ce cinéma. Ca fait plusieurs jours que je te prie, que je t’appelle à mon secours. Que dalle. On peut crever la bouche ouverte. Rien, pas un ange, pas un archange. Gaby qu’est-ce que tu foutais, nom de nom ?
Le Gaby en question regardait le sol, à moitié caché dans ses immenses ailes.
- pour les missions facile genre parler à ma mère, t’es là, droit dans tes bottes, OK. Mais pour le coup de main, merci !
Le chef reprit :
- Mais mon fils, on préparait ton retour.
- Tu te fous de moi. T’as pas vu le bordel que c’est en bas. Tu t’occupes à faire chanter les évaporés et moi, j’peux me brosser. Merci !
- Parles pas comme ça. Tu sais bien que tout le monde est à ta dévotion ici.
- Ben on dirait pas. J’ai morflé j’te raconte pas
- Mais c’est pour le salut des hommes.
- Si tu t’en étais occupé un peu mieux depuis le début, ils en seraient pas là. Bon allez, j’vous en veux pas à vous tous ; j’vous aime bien au fond.

Un colossal soupir de soulagement écarta les nuages. Des conversations murmurées reprirent même.
- pas facile le fils du boss.
- qui a dit ça ? Qui a dit ça ? Hurla jésus.
- c’est moi, fit la petit voix de l’huissier.
- alors toi, je t’avertis : y a un mec qui va pas tarder à débarquer et qui va superviser ton boulot. Tes dossiers on intérêt à être en ordre, sinon va y avoir avis de tempête, c’est moi qui te le dis. J’ai l’impression que n’importe qui est entré ces derniers temps.

Jésus gratifia la cantonade d’un regard noir.
- Je vais me pieuter. J’suis mort, tiens et pas encore ressuscité !. Et dans trois jours j’y retourne ! Y’a une bande de nases là bas ; j’sais pas comment je vais me débrouiller avec tout ça. Allez, ciao et merci à tous quand même …
- Et ton cadeau ; t'ouvres pas ton cadeau ?
- C'est quoi ? fit Jésus vaguement inquiet.
- Une perceuse/visseuse ... désolé, j'pouvais pas prévoir.
- Non mais vraiment ... J'crois plus en rien moi, tiens !

Il remarqua sur son épaule une coccinelle qui l’avait sans doute accompagné depuis la terre. Il la prit délicatement sur le bout de l’index et la regarda s’envoler, un peu ému :
- Toi au moins t’es fidèle, une vraie petite bête à Bon Dieu.

- Fiston ?
- Quoi encore ?
- T’as pas soufflé les bougies, je comprends, mais tu prendras bien un peu de gâteau quand même. Ou alors je t’en garde pour demain matin.
- On verra. C’est quoi ton gâteau ?
- Au début j’avais pensé à faire celui aux fruits de la passion. Et finalement j’ai opté pour celui avec le Nutella.
Jésus sourit.
- Avec le Nutella ? bon alors d’accord !



mercredi 6 avril 2016

Un infime espoir

Il suivait l’avenue Foch. Quelques gouttes commençaient à tomber se muant peu à peu en averse d’été. S’abriter en passant d’un arbre à l’autre, d’un auvent à l’autre devenait une espèce de jeu. Un jeu machinal dans lequel l’idée même d’amusement était absente. Augustin pensait à Cécile qu’il avait cru morte dans cette ville où il revenait pour la première fois depuis la guerre. Rendu à sa dernière adresse connue, la concierge l’avait regardé avec circonspection. Le reconnaissait-elle ? C’était peu probable, mais, au fond possible.
- Cécile Augagneur ? Certes non. Elle est partie au début des années cinquante.
- Elle a quitté la ville ?
- Pensez donc. Elle vit dans le sixième. Elle est du côté des bourgeois maintenant.
Un haussement d’épaules et elle était retournée dans sa loge trier le courrier sans lui prêter plus d’attention.

On était fin juillet. Lyon somnolait dans la chaleur moite d’un été somptueux, rompu quelquefois par des orages brefs et violents. Augustin avait décidé d’aller à pied, vers le « quartier des bourgeois ». Depuis le plateau, il était passé par la rue Dumenge, la rue du Chariot d’or, puis la rue Thévenet. Il avait emprunté les escaliers longeant la rue Eugène Pons jusqu’à l’église Saint Eucher. C’est là que ses parents s’étaient mariés. Il ne s’attarda pas d’avantage et descendit jusqu’au pont de la Boucle. Il se sentit heureux de revoir les arches de fer aériennes, symboliques à ses yeux de l’ingéniosité et du labeur des hommes. Au bout, de l’autre côté du Rhône, était le parc de la Tête d’or. Il y flânât longtemps, pensant retrouver ses bonheurs d’enfants. « J’ai trop vieilli désormais » pensa-t-il et il reprit son errance dans les rues rectilignes et huppées du sixième arrondissement.

Un soir, depuis la Croix Rousse, ils étaient venus jusque là. Un soir d’été embaumé par les aromes épanouis de la roseraie toute proche. Cécile avait ri en jetant du pain aux canards du lac, avait ri en regardant les singes grimaçant et quémandant des cacahuètes. Elle avait été attristée aux larmes par l’exiguïté de la cage des ours et la désolation de leur démarche lasse et circulaire. Ils étaient allés dîner au chalet du parc, bien au dessus de leurs moyens. Mais ils s’aimaient et tout semblaient possible alors. Cette nuit là ils avaient fait l’amour dans son meublé vétuste, tout en haut d’un vieil immeuble de canuts. Par la fenêtre ouverte les lumières de la ville s’offraient à leurs yeux, comme s’offrait à eux un avenir qu’ils imaginaient merveilleux.

Pourquoi avait-il eu le besoin de remonter le cours du temps ? Quelle mystérieuse motivation l’avait poussé jusqu’ici ? Il ne l’avait pas encore découvert, ou tout au moins pas formalisé. La pluie avait cessé aussi brutalement qu’elle était apparue. Le soleil luisait déjà, fabriquant des miroirs argentés de la moindre flaque. Augustin regardait pigeons, merles et moineaux qui profitaient de l’aubaine. C’est en relevant les yeux qu’il la vit devant une allée cossue au porche flanqué de deux atlantes de pierre. Elle portait une robe vichy rose serrée à la taille par une ceinture blanche. Elle était comme avant, belle, mince et rieuse. Il allait s’approcher lorsque la portière d’une voiture rangée en face de l’entrée s’ouvrit. Un petit garçon courut vers elle criant « maman, maman, on est allé voir Guignol, on est allé voir Guignol ! J’ai même pas eu peur du gendarme ». Un homme sortit à son tour de l’auto, en pantalon clair et chemise blanche ouverte et se dirigea vers elle, sourire aux lèvres.

Il était pétrifié. Il ne pouvait bouger, à peine respirer, grand corps vide aux bras ballants et aux pieds dans une flaque. Les oiseaux se disputaient autour de lui la baignoire improvisée par la pluie dans un creux de trottoir. Ils devaient le prendre pour une statue. L’homme à la chemise blanche entra dans l’immeuble.
« Maman, c’est qui le monsieur qui nous regarde ? »
Cécile le découvrit. Elle plissa les yeux dans ce geste qu’il connaissait si bien. Elle parut pâlir.
« Je sais pas chéri. Peut-être quelqu’un qui cherche une adresse. Allez, viens on va rejoindre papa. Il a promis de nous emmener au cinéma ce soir. » Elle parlait très vite.
« Oh ! Chouette ! »
« Monte. J’arrive » Elle le poussa à l’intérieur.

Au moment de refermer le lourd battant, elle lui lança un regard indéfinissable et esquissa comme un signe de la main. Il demeura encore un instant en hochant doucement la tête. Un infime espoir venait de se poser sur le fond douloureux de son cœur.

Entrée du Parc de la tête d'or

Lyon 6ième

Le pont de la Boucle