mercredi 28 septembre 2016

Une nuit d'été


Une nuit d'été
Ma belle effrontée
Comme éternité
Douceur
Ton corps me transporte
Plus rien ne m'importe
Ouvre-moi ta porte
Encore
Au champ des étoiles
Claque la grand-voile
D'un navire à voile
Désir
Aux creux de la chambre
Ta peau couleur d'ambre
Tes reins qui se cambrent
En tendres soupirs

Une nuit d'été
Ma belle effrontée
Seule vérité
Toujours
Nos doigts qui s'emmêlent
Complices et rebelles
Peignent une aquarelle
D'argent
Tes lèvres brûlantes
Ta main caressante
Me guident vers l'antre
Secrète
Des mots s'entrechoquent
Syllabes baroques
Parfois équivoques
Rudiments d'amour

 Nos cœurs caracolent
Ballet de lucioles
Qui bientôt s'envolent
Plaisir
Le ciel se déchire
D'un azur saphir
Où vont s'assouvir
Nos corps
Ma belle amazone
Dans l'œil du cyclone
Le rythme asynchrone
S'apaise
Comme un fleuve roule
Des eaux qui s'enroulent
Puis lentement coulent
Vers l'océan clair

Là-bas les fontaines
Murmurent lointaines,
Le chant des sirènes
Dort
La nuit qui s'achève
Prolonge les rêves
Et leur long cortège
D'or
Un rayon de lune
Lumière opportune
Caresse les dunes
Galbées
De tes hanches fières
Où dort le mystère
Que je saurai taire
De nos amours vraies.

Ce poème est inspiré par la chanson de Claude Nougaro : L'île de Ré



vendredi 23 septembre 2016

Silence


J’avais dans le cœur les forêts primaires où s’ensommeillent les nuages, les pluies torrentielles, et les éclairs métalliques des orages barrant les horizons lointains.
Tu avais sur la peau les langueurs des îles poudrées d’or, les ailes fragiles des grands oiseaux qui se posent et les parfums des alizés poètes.
La nuit souveraine refermait peu à peu sa main gantée d’ombre sur le monde, et le monde s’évanouissait.
Seuls comptaient sur mes lèvres, tes lèvres et sur mon corps, ton corps.
Il n’existait plus rien alentour.
La fenêtre grande ouverte sur un ciel bleu noir se piquetant d’étoiles, laissait passer le soupir léger du soir finissant. Les rideaux de lin devenaient voiles et je voyageais éternel sur ta carte du tendre. Notre désir était vaisseau ayant brisé les amarres du temps. Nous voguions avec lui, ivres de liberté, ivres l’un de l’autre.
Après longtemps, nous sommes allés voir l’obscurité des collines et les silhouettes brunes et mouvantes des grands arbres des lisières.
Au contrejour d’un pinceau de lune tu parus, déesse antique appuyée au rebord de l’infini.
Une effraie traversa l’espace qu’elle lacéra d’un cri bref.
L’air ouaté referma sa blessure et nous avons goûté la chaude douceur de notre première nuit d’amour.

Juste un souffle


Le vent se lève, il faut tenter de vivre
Que reste-t-il encore de notre temps humain
Une porte qui s’ouvre, un désir qui enivre
Ton parfum qui s’envole entre hier et demain

Le temps qui n’a pas d’âge mais qui écrit le nôtre
Nous drape doucement dans nos habits d’hiver
Descendons au jardin tant qu’il est encore vert
Et laissons nos baisers enjalouser les autres

Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts de la vie
Et toujours tu appuies ta joue à mon épaule
Et si souvent ta main et ma main qui se frôlent
Et encore cet amour qui habite nos nuits

Jamais n’arrivera le moment d’être sages
Et quand je cesserai d’entendre ta voix claire
Et quand de ton regard je perdrai la lumière
De notre livre à deux tu fermeras les pages
En me fermant les yeux.

J’emporterai alors dans mon éternité
Ton parfum qui s’envole entre hier et demain
Une porte qui s’ouvre, un désir qui enivre
L’infini souvenir de notre temps humain
Et le vent qui se lève ...
Il faut tenter de vivre

"le vent se lève, il faut tenter de vivre"
est un vers de Paul Valéry, de son poème : Le cimetière marin



"Le vent se lève" est un long métrage d'animation de Hayao Miyazaki

lundi 19 septembre 2016

Si l'on m'avait dit

Si on m’avait dit qu’elle serait là, comme une ombre assise sur le banc de pierre.

Plus de dix années s’étaient écoulées. Dix années pendant lesquelles je vivais dans la mémoire d’elle sans jamais pouvoir m’en évader. On tente de construire des murs pour se séparer des douleurs du passé. Mais toujours une fissure apparaît d’où s’échappe un rai de lumière diffuse, comme un regard croisé, un parfum respiré, un mot ou un rire entendus au détours d'une rue, qui nous font tourner la tête en pensant que c’est elle.
On trébuche sans cesse sur nos souvenirs. Ils se saisissent de nous, nous triturent et nous laissent exsangues des larmes pleins les yeux, et une amertume douce dans la bouche.

Souvent mes pas me ramènent vers le cimetière où elle repose depuis dix ans. Il est adossé contre une colline ronde. De là-haut on domine la vallée où s’accrochent souvent des écharpes de brumes grises. Mais les matins de printemps le soleil baigne la campagne d’une lumière bleutée.

Hier elle était là, dans cette lumière, silhouette légère. Elle m’a regardé en souriant, pâle, presque transparente. « Arrête de venir ainsi pleurer sur ma tombe ; je n’y suis plus depuis que l’on m’a couchée dedans. Ne te complais pas dans cette tristesse qui t’empêche de renaître et d'aimer encore. Regarde comme la nature est belle et comme le monde a changé. Toi tu demeures drapé dans ton lourd manteau d’hier ». Elle est restée comme flottant devant moi, a déposé une forme de baiser sur mes lèvres et s’est évanouie dans la tiédeur de l’air.

Si on m’avait dit qu’un jour la mort me redonnerait la vie.

dimanche 18 septembre 2016

Barbe à papa


Je suis parti une nuit d’hiver, parti pour nulle part, pour un quelconque ailleurs, dans une errance qui deviendrait ma vie. L’entreprise paternelle, la coterie des notables, la voie royale qui m’était naturellement réservée n’étaient pas pour moi.

Alors de bars en bordels, de ports en quais de gare, je suis entré peu à peu dans cet anonymat qui permet tout. J’ai abordé la frange du monde. J’ai rencontré des gens « autres », des personnages que je ne croyais exister que dans les romans de Manchette, de Chandler ou de Le Carré. J’ai tour à tour endossé les costumes d’homme de main, d’espion, puis de mercenaire ; j’ai vécu tant de vies.

Mes mains ont frappé parfois très fort. Elles ont tué, hélas, des hommes qui étaient du mauvais côté. Le côté des pauvres, des miséreux, de ceux qui se battent pour leur survie, leur liberté. Moi je me donnais au plus offrant. Les trafiquants de bois précieux, d’animaux rares, d’or et surtout d’armes, me recherchaient pour mon efficacité. Des fortunes me sont passées entre les doigts.

Ces mêmes mains ont aussi caressé. Des peaux de toutes les couleurs. Les peaux des filles que l’on bouscule et qui rient un peu trop fort, de celles que l’on force sur les tables les nuits d’alcool et de détresse. Les peaux luisantes des belles abyssines, les peaux souples et légères des asiatiques, les peaux claires presque transparentes des slaves. Et puis les peaux douces et parfumées de ces déesses inaccessibles au doigts gantés de soie, mais qui se donnent en criant à l’arrière des immenses limousines dans la moiteur des soirées africaines.

Et bien malgré tout cela, j’ai gardé au fond de mon âme si noire un coin de mon enfance. Un coin sacré, béni, immaculé. Les jours où mon père me mettait sur ses épaules et m’emmenait à la fête. Je n’oublierai jamais les lumières des baraques, les musiques des manèges, les appels des camelots, le bruit de la foule aimable se pressant devant les attractions, et les odeurs, surtout les odeurs. Je crois encore les sentir comme ramenées par les vents alizés, quand face à la mer je repense aux jours anciens. L’odeur des pommes d’amour mêlées à celle de la poudre des stands de tir, celles des gaufres, celle du sucre multicolore que l’on étirait sur le marbre brillant, et celle plus suave mais tellement reconnaissable de la barbe à papa.

Au fond de la place du village, je revois derrière sa machine en fer le marchand au visage rougeaud surmonté d’une drôle de toque blanche, ce magicien des gourmandises enfantines, faiseur des nuages roses que je promenais au bout d’un bâtonnet de bois et qui barbouillaient de bonheur sucré mes joues de petit garçon.


vendredi 2 septembre 2016

Le premier jour


Je sus plus de latin qu’un clerc de Nostre Dame mais fus moins assidu aux offices qu’une ribaude du Trou Margot. De la porte Saint Jacques aux bas quartiers nos bandes s’égayaient chaque soir. Jamais assez de pichets, jamais assez de pâtés, ni de poulardes, jamais assez de rires, jamais assez de filles. Quand nous étions francs... repus, qu’on avait épuisé le vin de Morillon ou celui d’Argenteuil, elles montaient sur les tables et nous montraient leurs cuisses et leurs croupes. Puis elles venaient s’asseoir sur nos bedaines pour voir si bon fouteurs nous étions et se faisaient prendre comme sorcières chevauchant leurs balais.

Que sont ces amis devenus ... Un par un ils ont glissé dans le néant. Qui gigote encore au gibet de Saint Benoît, qui a subi pire encore. Qui d’autre est devenu professeur en Sorbonne remplaçant les tétins fermes des jeunes catins par des mamelles grasses que seuls leurs marmots goûtent encore.
Et moi, le vieux paillard je touche au port.

Trop couard pour voler, trop chrétien pour occire, mais bien assez menteur pour mendier. Je braillais des psaumes sur le parvis des églises et débitais des poèmes aux portes des auberges où on ne me laissait plus entrer. J’avais parfois encore les grâces d’une vieille putain à la peau plus rude que bure qui me laissait la ruer pour un ou deux sols

Mais ce soir est mon dernier soir.
La camarde m’a rendu visite sous les traits d’un chevalier du guet qui m’a fait jeter dans un cachot pour injure au prévôt. Au fond, ce n’est pas improbable. Dans une heure mes os tournoieront au bout d’une corde et mes yeux nourriront pies et corbeaux. La belle affaire.

Demain, foutre mot, mon corps pourrira en fosse commune.
A moins qu’un tripier ne le dérobe pour améliorer ses terrines, si il n’a pas corps plus tendre à dépecer. Mon âme, s’il m’en reste une, rejoindra celle des gueuses aux cimetière des Innocents. J’y retrouverai celle de la Machecoue qu’égorgea par bravade Montcorbier dit Villon, mais que j’aimais en secret.

Ce sera le premier jour de ma mort et celui de nos retrouvailles