vendredi 18 novembre 2016

Impressions du Moyen-âge

Le saint Roy fleur de lys, au chêne séculaire
Ignorait tout encore des funestes entreprises
Où ses preux chevaliers, ses braves légendaires
Périraient pour la Croix, au saint nom de l’Eglise.


Dans les lices ornées des armes des princesses,
De hardis cavaliers, en combat singuliers,
Le heaume empanaché, lançaient leurs destriers,
Dans l’espoir d’un regard des royales altesses.


Harassés de labeur, les pauvres en haillons
Voyaient passer amers et palpitants d’effroi,
La chasse du seigneur traversant les sillons
Et partir la récolte aux pieds des palefrois.


Dans des cours ignorées, des manants, des poètes,
Des enfants va-nu-pieds, des fous et des jongleurs,
Luttaient contre les lois des princes et des prêtres
Avec leurs guiternes, leurs ballades et leurs cœurs.

Dans ces lieux d’où parfois s’élevaient leurs chansons,
Entraient à grand fracas les compagnons du guet,
Qui dans un lourd silence, sous les regards inquiets,
Emmenaient quelques uns jusques à Montfaucon


D’imposantes bâtisses s’accrochaient aux montagnes,
Où des hommes de bures, courbés sous le travail
De copistes divins, ou d’humbles valetailles
Priaient dans le silence pour les gens des campagnes.

Et quand, parfois, s’ouvraient les énormes portails
Pour laisser pénétrer pèlerins ou bien gueux
Venus chercher ici, auprès des gens de Dieu,
Un peu de brouet clair et un trou dans la paille
Avant que de reprendre leur marche à travers bois,
On entendait alors le murmure où se fondent
Dans le chant grégorien et les cœurs et les voix,
Pour porter jusqu’au ciel, les misères du monde.


D’inquiétantes clairières au creux des forêts sombres
Préparent en secret la noire cérémonie,
Où incubes et succubes en d’odieuses orgies,
Se mêleront informes aux sorcières sans nombre.

Et puis, à la minuit, dans un éclair énorme,
Surgira du Néant, enfin, l’Etre innommable.
Sulfureuse et infecte, la gigantesque forme
Dans un bruit de tonnerre, s’assiéra à la table.

Alors commencera la folle sarabande
Grimaçante et lubrique de ceux qui n’ont plus d’âme.
Et dans les grands sapins, leurs ombres rougeoyantes
Danseront le sabbat devant leur maître infâme.


Au cœur des forteresses, sous le hennin de soie,
Dans le jardin enclos au doux parfum de rose,
La dame au teint de pêche écoute, cœur en émoi,
Du jeune troubadour, la fascinante prose.

Il lui dit les amours de sage jouvencelle
Gardée dans une tour par un triste seigneur,
Et qui, par la magie d’un savant enchanteur
En oiseau transformée, s’enfuit haut dans le ciel
Retrouver, éperdue, au pied d’un orme immense
Un musicien poète, à lui même pareil.

Et la dame troublée se sent pousser des ailes
En regardant les mains sur la vielle, qui dansent.

Mais des voix qui résonnent ont donné le signal,
Et devant les chevaux ont abaisse le pont :
Les hommes en poussière des courses par les monts
Font au maître en armure, un retour triomphal.



mardi 1 novembre 2016

Les "refusants"

Il y avait ce quai immense. D’abord je le survolais, étonné par la foule énorme et hétéroclite s’y pressant. Puis brutalement je faisais partie de cette foule. La femme de ma vie était là, et même les chats. Nous attendions que les vaisseaux se rangent pour nous accueillir. Des bâtiments de verre construits sur de puissantes structures d’acier. La foule était silencieuse malgré sa densité. Des femmes, des enfants, des hommes et des animaux, essentiellement des chiens et des chats. Et puis quelques unes de ces bêtes curieuses mi-dragons mi-oiseaux. Calmes elles aussi mais un peu inquiétantes. Pas de valises, pas de bagages, ou alors un carnet, ou deux ou trois photos. Lorsque les voyageurs étaient installés, des hommes en uniforme passaient pour s’assurer que tout allaient bien. Et toujours, ils posaient la question la plus importante qui soit : "êtes-vous absolument certains de vouloir partir". Une grande majorité répondait : "oui". Alors ils ne pouvaient plus faire marche arrière.

Nous nous sommes assis dans des fauteuils confortables. Le temps était splendide. Le quai se vidait au fur et à mesure que les vaisseaux se remplissaient. Quelques passagers en descendaient parfois, esquissaient un signe de la main, puis repartaient d’un pas lourd. Je regardais mon amour et devinait l’immense tristesse de son coeur. Puis j’ai observé un de nos chats. Celui là avait la tête tournée vers le toit de notre maison que nous pouvions apercevoir à présent. Une pincée de tuiles ocres dans un ciel bleu clair. Et je crus voir comme de la détresse dans l’eau irisée de ses prunelles verticales. Elle a croisé mon regard. Elle hocha la tête. Alors j’ai appelé un des hommes en uniforme et lui ai simplement dit : "nous ne partons plus". Il nous a salués gravement et aidés à descendre.

Quelques instants plus tard, le cri d’un oiseau près de la fenêtre me réveillait. Je mis du temps à reprendre mes esprits et à m’apercevoir que j’étais en pleurs. Un chat ronronnait paisiblement entre elle et moi.

Ce matin là ils ont frappé à la porte. Des hommes armés en treillis et rangers. Ils nous ont reposé la même question mais sous l'autre forme : "êtes vous absolument certains de vouloir rester". Nous avons répondu : "oui". Ils nous ont regardé avec déférence. Celui qui devait être le chef nous a fait signer les papiers officiels de notre renoncement. C’était fait : nous avions rejoint les maigres rangs des "refusants". Puis il nous a remis un guide de notre vie future. Tous nous ont serré la main et même embrassés puis ils sont partis. Ils nous avaient appris que nous étions les seuls "refusants" du village, que dans la petite ville voisine il y en avait une dizaine. Nous saurions plus tard que la mégapole proche en compterait plusieurs centaines. Ce n'était plus un rêve. La chaleur était de plus en plus présente. Le soleil paraissait enfler à vue d’œil. Mais était-ce une illusion due au matraquage médiatique qui avait précédé le grand départ. La journée s’écoula dans la torpeur de cet éternel été.

En début de soirée, nous nous sommes allongés près du bassin où coulait une eau encore fraîche. La nuit tombait doucement, et les premières étoiles piquetaient déjà le velours du ciel. Voilà ; nous faisions partie des derniers habitants d’une terre vouée à la vaporisation dans l’ultime embrasement. De cette terre que nous ne voulions pas quitter. La majeure partie de la population du globe était désormais en route pour Mars, dont la terra formation avait commencé depuis plus de deux cents ans.

Le nez planté dans l’infini du cosmos, nous nous sommes pris à rêver. Et si la minuscule part d’erreur des savants calculs qui avaient présidé à la décision finale se révélait vraie. Et si le soleil s’arrêtait de grossir. Et si ceux qui comme nous avaient refusé d’abandonner leur vieille planète allaient recommencer une nouvelle aventure humaine, riche de tous les enseignements de la précédente. 

Une chouette silencieuse traversa l’espace. La vie nocturne bruissait de partout, porteuse d’un indicible espoir. Elle me prit la main et chuchota à mon oreille : "et si on faisait l’amour ? …"