lundi 8 février 2016

La légende de ZOOR

Le jour d’après


Il leur avait fallu du temps. Une marche sans fin dans cette plaine herbeuse au silence bruissant. Le petit groupe avançait en se frayant un chemin dans les inflorescences enchevêtrées et odorantes. Toumba marchait devant.

Après l’apparition dramatique du Dieu Zoor surgissant du lac sacré pour emporter la fille du chef Koury dans les entrailles du volcan, le peuple de Zilla s’était disloqué.
Certains étaient restés pour vouer leur vie au culte de Zoor. Chaque treize lunes, ils trouvaient une jeune fille à lui offrir en sacrifice. Zoor, à la fois serpent et oiseau, corps d’écailles et aile de feu, poussait son mufle énorme hors de l’eau dans un jaillissement épouvantable et entraînait la victime dans les profondeurs. Ainsi, le peuple pouvait vivre en paix, sans craindre la colère du Muchinga.
Les autres étaient peu à peu partis, bravant les anathèmes et s’étaient éparpillés dans la nuit des temps.

Toumba et sa tribu avait été les derniers à quitter l’abri du ventre de la montagne sacrée. Ils avaient rassemblé leurs maigres avoirs, flèches en silex, arcs, peau de bête et avait profité de la nuit la plus noire pour filer dans l’étroite anfractuosité rocheuse, unique moyen de déboucher sur la savane. Mais ce qu’ils avaient pu conserver avec eux étaient un véritable trésor. Opposé depuis longtemps aux sacrifices, désorienté par les rites imposés par le nouveau grand prêtre, Toumba, désormais vieux sage, avait su garder dans le plus grand secret, et leur écriture, et leur mythologie fondatrice. Ces deux éléments essentiels de la civilisation du peuple de Zilla étaient à présent considérés par ceux qui le gouvernaient, non seulement comme illicites, mais encore comme dangereux, et propres à provoquer la colère de Zoor. Toumba était le dernier à pouvoir déchiffrer les pierres gravées et à en comprendre le sens. Son seul but dans sa fuite était de pouvoir transmettre à son plus jeune fils la pensée unique de son peuple perdu.

Bientôt, une colline se profila à l’horizon, baigné par les lueurs pourpres du soleil couchant. Ils accélérèrent le pas et entamèrent l’ascension d’un raidillon caillouteux. Les grandes herbes se faisaient plus rares, l’air plus frais. Toumba demanda d’aller encore plus vite. Il craignait qu’ainsi à découvert, ils deviennent une proie facile pour les bêtes sauvages peuplant la contrée. Tous obéirent et malgré la fatigue, ils se serrèrent un peu plus, les plus rapides attendant les plus lents. Les femmes portaient les enfants, les hommes forts les vieillards usés. Toumba, lui, restait devant. Il savait où il conduisait sa tribu. Les écritures sacrées lui avaient indiqué le chemin.

Au détour du sentier, ils commencèrent à entendre le bruit. Sourd, d’abord, puis de plus en plus présent. Toumba attendit d’atteindre une espèce de plateau étroit, dominant la grande plaine pour stopper la marche. Quand tous l’eurent rejoint, il prit la parole :
- regardez pour la dernière fois le mont Muchinga, là-bas, au fond du monde. Il reste le dernier dans la lumière. Nous ne le verrons plus jamais. Nous allons marcher sur des terres inconnues, ou personne n’a encore marché. Ecoutez le bruit devant nous. N’ayez pas peur.

Les pierres nous disent qu’il s’agit de l'énorme chute d’eau d’un fleuve que nous ne savons pas. Derrière, se cache le pays où nous vivrons en paix, libres de continuer ce que nos vrais ancêtres avaient commencé à construire. Allons, courage, nous arrivons au terme de notre voyage. Toumba se tut. Il chargea son sac sur l’épaule et se mit à marcher. A sa suite, ils reprirent la route sans un mot, mais le cœur plus léger.

Après avoir contourné le plateau, ils s’arrêtèrent à nouveau, sidérés. Devant eux, s’élevait comme un mur immense, une gigantesque cataracte que la lune montante éclairait d’or.
Un enfant échappa à sa mère. Il s’approcha doucement du bord du chemin et, face au fleuve, se mit à fredonner une espèce de mélopée ignorée. Toumba le regarda et murmura. « C’est toi, petit qui redonnera vie à notre peuple ». Son plus jeune fils lui lança un regard sombre.

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