mercredi 6 avril 2016

Une parenthèse

- Vous semblez bien rêveur professeur Forster ;
Assis sur un banc face à la mer baltique, il détourna un instant le regard pour contempler la fine silhouette qui s’approchait.
- Ah, Matilda, de tels couchers de soleil sont si rares dans notre froide Poméranie.
Il resta un instant silencieux, puis :
- C’est comme un symbole du déclin de notre cher pays. Le jour se noie dans le sang mêlé des cieux et des eaux. La nuit nous enveloppera bientôt.
Il lui prit la main pour y déposer un léger baiser. Elle eut un petit rire bref.
- Vous êtes poète Edmund, mais bien pessimiste. Ce sont vos patients qui vous troublent ainsi l’âme ?
Elle s’assit près de lui, ramenant sa veste sur ses épaules. Ils regardaient la bascule du jour. Peu à peu la pénombre allait les envahir. Il reprit, les yeux perdus dans l’ultime embrasement de l’horizon :
- Je songe à Pasewalk … la dernière destination pour nombre d’hommes que nous recueillons là-bas.

Elle fronça le sourcil, et lui caressa tendrement la joue. Elle se fit plus pressante.
- Nous sommes à Rügen, autant dire au bout du monde. Oubliez un peu ces hommes tellement meurtris par la guerre. Nous ne saurons peut-être jamais ce qu’ils ont vécu. Nous ne pouvons que leur apporter un peu de soulagement en les écoutant … juste en les écoutant.
- Bien sûr. Vous avez raison. Mais je pense tout particulièrement à l’un d’entre eux. Lors des dernières consultations, il s’est montré exalté, comme investi d’une mission. Il dit avoir eu une révélation. Je crains qu’il souffre d’une espèce de psychose paranoïaque qui pourrait causer sa perte.
- Allez, Edmund, il n’est sans doute pas le seul dans ce cas, et puis ce genre de malade passe rarement à l'acte. Profitons plutôt de cette courte parenthèse pour imaginer demain … et notre avenir.
- Vous avez raison chère Matilda. J’ai réservé la meilleure table pour ce soir. Venez.

Ils se levèrent, regardèrent une dernière fois le ciel orangé, tirant désormais sur le noir et se dirigèrent vers les lumières de l’hôtel où ils résidaient. Tout en marchant elle lui demanda avec un ton de reproche amusé.
- Et comment se nomme cet homme qui a pris ma place dans votre esprit, ce soir ? Je l’ai peut-être croisé, après tout.

- Heu … Hitler … oui c’est bien ça … Adolphe, il me semble.
Elle s’arrêta, sembla réfléchir un instant :
- Ah ! Non, ça ne me dit rien.

Hitler lors de sa convalescence à Pasewalk : dernier rang, deuxième à droite


1 commentaire:

  1. je vais essayer de passer faire les lectures...Dommage que je ne puisse m'abonner à ton blog... Que de souvenirs Lyon, et ses environs... Jassans, Saint Trivier, et Châtillon/ Chalaronne... J'ai toujours regretté de ne pas avoir demandé une nomination là bas... mais les aléas de la vie m'en ont empêché...
    avec le sourire

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