samedi 9 avril 2016

La dernière séance chez le psy


- C’est donc là votre interprétation de vous-même ?
- En effet docteur.
- Vous être bien certain que vous ne faites pas erreur ?
- Bien certain, docteur.
Il pousse un soupir.
- Alors, je suppose que vous n’aurez aucune peine à me donner les explications qui éclaireront d’un jour nouveau l’image que j’ai construite de vous, après ces longues heures d’analyse ?
- Je vous sens assez persifleur, docteur. Il ramène une mèche poivre et sel sur son front dégarni, et la lisse avec soin. Il arbore un sourire presque frondeur. Je suis surpris que vous n’ayez pas d’emblée saisi toute la clarté de cette … heu … photographie de mon moi profond. Puis après un temps … docteur.
- Le persiflage a changé de camp dirait-on. Je vous écoute. Allez-y.
- Si j’osais …
- Mais osez, mon vieux, au point où nous en sommes. Il a son tic d’énervement qui le fait cligner de l’œil tout en levant le sourcil opposé.

Une respiration et d’un trait : prenez le divan, je prends le fauteuil.
- On me l’avait encore jamais faite celle-là ! Il hausse les épaules et s’étend sur le divan. On est pas mal finalement. Comptez pas sur moi pour faire la conversation … docteur …
- Ca changera pas beaucoup … docteur.

- Vous ne dites rien ? …
- C’est énervant, hein !.. Bon allez, finissons-en. La photographie de moi-même par moi-même.
- J’ai hâte !
- Ne m’interrompez pas sans cesse, s’il vous plait. La mèche retombe. Il la plaque soigneusement. Elle dessine un surprenant arc de cercle finissant en accroche-cœur au dessus de l’oreille droite.

- Six oeufs et une balle de tennis sont mon portrait craché. Ou plus exactement le portrait de mon moi. Je suis à la fois plein et vide. Air et matière. Je peux me répandre au moindre choc, mélangeant mes émotions sans distinction. Je sais aussi résister aux coups et reprendre ma forme initiale en un instant. On me marche dessus et je me brise. On me marche dessus et je fais chuter l’imbécile. On me lance contre un mur et je ne suis plus rien qu’une tache écoeurante et peu ridicule. On me lance contre un mur et j’emmagasine de l’énergie pour revenir frapper plus fort encore l’ennemi. Je suis à la fois esprit et matière. Viscères et âme. Vous dites avec des mots savants qu’il existe certainement des liens entre cerveau et esprit. Mais cette assertion éloigne plus l’âme du corps qu’elle ne les rapproche. Elle prouve même l’existence d’une âme, d’un esprit indépendant qui parfois resurgit du carcan où il est enfermé. Mieux encore l’œuf et la balle, sont le soma et la psyché. Le corps et l’esprit. L’esprit infini mais non libre dans son enveloppe, et le corps fini bien sur et englué dans sa complexité. Pourquoi plusieurs œufs ? Mais parce qu’il y a plusieurs corps successifs pour une même âme.

Il s’est levé et marche de long en large avec de grands gestes, réajustant sans cesse ses rares cheveux sur son crâne.
- Ca vous en bouche un coin, ça mon vieux. Et je vais vous dire pour finir.

Il est venu s’asseoir au bord du divan, devant le docteur effaré.
- Je vais vous dire, mon vieux. Le bipolaire, et bien il vous emmerde !

Il se redresse. Fait le geste de brosser ses habits avec la main, sort un billet de cinquante euros de sa poche et le lance sur le divan avant de sortir.
- Pour le petit personnel.
La porte claque violemment faisant tomber une poussière de plâtre sur le bureau d’ébène.


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