samedi 23 avril 2016

Le mariage de ma cousine


1 - La surprise

- Tiens, Chéri, tu as un message de ta cousine.
C’est la voix de Joséphine, depuis le couloir qu’elle est en train de repeindre pour la troisième fois. Je rentre du boulot à l’instant.
- Sur la Hbox ?
- Oui, oui ; un HM. Je la reconnaissais à peine dis donc. Tu vas être surpris
- Surpris par Juju ? C’est pas gagné !
- C’est à dire qu’elle nous invite à son mariage !
- Non !
- Ben si ! Regarde le HM tu verras. Je crois que c’est pour le 12 Mars.
Il y a du rire dans sa voix et j’adore ça.

Je me dirige vers le salon et m’installe confortablement dans le grand canapé rouge.
Bon alors. Qu’est ce qu’on a aujourd’hui ? Je pose la main sur la Hbox qui devient lumineuse. Un instant plus tard, le premier hologramme stocké marche sur la table basse.
Marrant de voir mon boss ainsi. A peine un mètre de haut (nous avons choisi un appareil de classe B). Il souhaite que nous aboutissions impérativement avant la fin du mois sur un dossier … déjà bouclé depuis une semaine. Il précise aussi que les prototypes reçus de Pluton sont parfaits. Manquerais plus qu’avec douze mains et huit paires d’yeux les plutoniens bossent mal. Aussi aimable que d’habitude mais toujours un peu à la rue, le boss. Tiens, il faudra que quelqu’un ose lui expliquer que la communication par hologramme est assez différente de celle avec les anciens téléphones, car on vous voit tel qu’on est quand on envoie le message. Soit, il s’est réveillé dans la nuit en pensant à moi, ce qui me flatte, soit il va au bureau en pyjama.

Bon. Ma cousine Juju. Ah, la voilà.
Une petite Juju sur la table du salon, ça c’est amusant. Toujours aussi splendide, la rousse incendiaire. On a le même âge, ou presque et on a été assez proches à l’adolescence. Maintenant c’est de l’histoire ancienne … Je regarde et j’écoute sidéré ma belle cousine. Plusieurs fois, car la communication n‘est pas terrible. Je finis par éteindre la box et retourne vers une Joséphine appliquée.
- Alors ?
- C’est dingue tout de même. Elle se marie. J’en reviens pas. Par contre ma chérie, tu n’as pas très bien saisi la teneur du message.
- Ah ? Et en quoi s’il te plaît ?
- En cela que ce n’est pas le 12 Mars que nous sommes invités. Mais sur Cars 12. !

Joséphine en lâche le pinceau, ce qui n’a aucune espèce d’importance car, connaissant sa distraction légendaire elle active toujours le champ antigravitationnel autour d’elle quand elle fait du bricolage. Le pinceau flotte paisiblement devant ses longs doigts d’artiste.
- Sur Cars 12 ? C’est la planète 278, si je ne m’abuse. C’est au diable. Il faut au moins deux jours de voyage pour l’atteindre. C’est même pas dans la galaxie …
- Une journée à peine, bébé. C’est loin, certes, mais situé sur le couloir spatio-temporel le plus rapide qui soit.
- Tu crois qu’elle se marie avec un carstien ?
- Pourquoi pas. Elle est capable de tout.
- C’est vrai qu’à notre propre mariage elle est arrivée avec un poulpe de la plus haute société.
- Et l’aristocratie poulpienne n’a pas la même notion de l’élégance que nous.
- C’est le moins que l’on puisse dire. La chanson dont il nous avait gratifié était … gratinée, non ?
- C’est sûr que « Viens que je te tentacule » chanté en poulpe ancien ne pouvait faire marrer que l’oncle Emile. Sinon, tu en connais, toi des dodécarstiens ?
- On en eu un en stage l’année dernière, dans la boîte …
- Et … ?
- Il mesurait trois mètres vingt et était tout rouge.
- Et bien parfait. Ce sera raccord avec sa chevelure, alors
Joséphine éclate de rire, puis se penche vers moi : « embrasse-moi »

Je me mets sur la pointe des pieds puisqu’elle est toujours perchée sur son escabeau. Ceci a pour effet de décentrer le champ antigravitationnel, libérant le pinceau qui chute sur le parquet laissant une belle empreinte couleur taupe.
- Pas grave. Ce sont des couleurs virtuelles. Je faisais juste des essais.


2 - La cérémonie

Le mariage eut lieu dans la deuxième moitié de la période prétubérienne de Cars 12. Cela correspond sensiblement au milieu du mois d’avril terrien. Toute la famille était présente. Nous avions loué une immense bulle opaque* pouvant transporter au moins trois cent personnes. Le voyage passa rapidement tant nous étions excités à l’idée de la fête. L’arrivée sur Luxcity, capitale de 278, fut grandiose. Je ne pourrai pas mieux la décrire que L’Arpenteur le fait dans les aventures de Yaddo. Tout comme lui, nous sommes restés sur la plateforme du spatioport à contempler le coucher du premier soleil. Puis nous avons eu l’autorisation de descendre au cœur même de la cité avant que celle-ci ne s’enfonce dans le sol de la planète, pour une nuit inoubliable.

Juju et son carstien de fiancé nous attendaient. Elle était incroyablement somptueuse dans une robe en résine ambrée, moulée à même son corps de déesse. Le casrtien mesurait au moins deux mètres quatre vingt. Le poulpe aristocrate était son témoin. Juju se précipita sur moi dès mon arrivée :
- mon cousin préféré, je veux que tu sois mon témoin. Voix implorante, presque baignée de larmes, mais œil frisant. J’acceptais.

La cérémonie fut grandiose. La salle des vœux aux murs entièrement recouverts de tulle blanc et rouge, tradition carstienne, avait été envahie par une nuée d’invités venus des quatre horizons du cosmos. Androïdes mauves de XJ29, Poulpes en grande tenue, Anthroporeptilis, Cyclopes puissants de Circéa, petits martiens jaunes … Tous faisaient partie de l’élite de leurs sociétés respectives. Nous, pauvres humains, tenions notre rang au mieux, nos combinaisons d’apparat restant d’une élégance ultra raffinée.

L’officiant était un immense carstien aux yeux multicolores. Il parlait d’une voix forte, et dans la langue universelle. Le moment le plus surprenant fut lorsque tous les carstiens présents, décidèrent ensemble d’adopter une taille moyenne. Progressivement, ils se réduisirent aux environs d’un mètre quatre-vingt dix, simplement par politesse pour leurs hôtes. Cette action spectaculaire était rarissime dans l’histoire de leur civilisation. Ils faisaient en même temps preuve de leurs incroyables capacités. Ma chérie me murmura à l’oreille, qu’ils auraient pu aussi changer de couleur …

Après le consentement des deux époux applaudis à tout rompre, excepté par les poulpes qui levèrent leurs tentacules au dessus de l’assemblée en signe de liesse, nous formèrent un cortège jusqu’aux pièces de réception. Des dizaines d’orchestres de tous styles et de toutes origines étaient disséminés dans des alcôves adjacentes aux grandes salles. Partout, des buffets monstrueux regorgeaient de mets étonnants. Une brigade de serveuses et serveurs nous attendaient. A peine les portes ouvertes, ils exécutèrent un ballet parfaitement réglé et bientôt tous avions en main une flute de champagne de France. Le reste de la nuit se passa en danses, chants, discours divers, jeux et il faut bien l’avouer colossales beuveries. De nombreux couples s’éclipsèrent même dans les chambres avant de réintégrer discrètement la soirée. Je dois reconnaître que nous fûmes l’un d’eux.

Au matin, nous assistèrent médusés à la remontée de la ville vers la surface de la planète déjà éclairée par le premier soleil. Le second faisait son apparition à l’horizon vert. La bulle opaque nous attendait sur le quai de départ. Les embrassades durèrent une éternité et le retour fut paisible. Tous dormaient.

Voilà. Juju ma belle cousine était mariée à l’autre bout du cosmos. Elle avait rejoint les hautes sphères d’une civilisation dotée d’une technologie sans équivalence. Nous ne doutions pas qu’elle serait bientôt une des femmes les plus célèbres de l’univers.
Les jeux et les rires de l’enfance s’estompent avec l’avancée de l’âge, mais je n’oublierais jamais ses lèvres fraîches offertes un soir au bord d’un lac de montagne.

* bulle opaque : moyen de transport destiné à circuler dans les couloirs spatio-temporels. Ces « véhicules » sont capables d’absorber des accélérations de plusieurs centaines de g, et de voyager à des vitesses bien supérieures à celle de la lumière





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