jeudi 7 avril 2016

Libre pavane

C’était au solstice. A la lisière ténue où la nuit frôle le jour. Elle était belle comme un maléfice. Des yeux charbons noirs et un corps de souveraine. Une reine des peuplades des bords du monde. Ses lèvres étaient un philtre doux amer, ses hanches un creuset d’incandescence sauvage. Ecoutez, peuples soumis voués à la médiocrité, écoutez le souffle majestueux des temps sans dieu. Voyez s’avancer celle qui vient à pas lents, marcher sur vos maigres destinées. Regardez sa morgue, son ironie, son infini mépris pour ce que vous êtes. Inexorable, elle est la vie. Vous qui croyez vivre, vous restez immobiles et pantelants, aveugles à la vérité des choses.

Ecoutez si vous le pouvez encore,
Le rythme lent de la faux. Ecoutez
Le lourd frou-frou du noir manteau.

Et moi, j’étais là aussi, intensément près d’elle. Et j’ai vécu. Et nous avons fait l’amour, entourés du silence bruyant des ombres de la nuit. J’ai vécu ses orages, ses soleils, ses éclairs, ses éternités. J’ai cloué son ventre aux nuages, j’ai bu sa liqueur jusqu’à l’ivresse. Elle m’a englouti, m’a absorbé. Je l’ai écartelée, elle m’a déchiré, m’a écorché. Je suis mort tant de fois, mais à chaque fois je vivais d’avantage. Et puis le matin a blanchi le coin du ciel. Et je suis resté là, solitaire, exsangue.
Ecoutez les chœurs, écoutez ces voix pures mêlées aux timbres graves et la voluptueuse envolée des cordes.

Ecoutez si vous le pouvez encore,
Le rythme lent de la faux, écoutez
Le lourd frou-frou du noir manteau

Et regardez-moi.
Repaissez-vous de ma peine. Réjouissez-vous de ma douleur. Je vois que vous souriez. Ce veule sur la mollesse de vos visages est ma revanche. Vous êtes des morts vivants. Je suis un vivant mort et je triomphe de vous. Je suis à jamais de ceux qui savent ; vous, vous ignorez même de ne pas savoir. Ce qu’est l’amour, ce qu’est la vie. A la fin du spectacle, quand vous aurez éteint vos postes nourriciers, vous irez baiser vos femmes et vous endormir sur leurs corps adipeux et insatisfaits, dans la cruelle désillusion d’un plaisir vulgaire .

Ecoutez si vous le pouvez encore,
Le rythme lent de la faux. Ecoutez
Le lourd frou-frou du noir manteau.

Dans ce petit jour où le chanvre de la corde me caresse, où la lame tranche mes veines, où le poison va incurver mon corps tendu, me dévoilant enfin l’obscure lumière, je ne vous hais pas car vous ne méritez pas la haine.
Quand à votre tour, vous serez chancelants au bord de la fosse commune, quand vous verrez le creux de la terre où il vous faudra pourrir, peut-être aurez vous une vague réminiscence de ce que je fus. Un vagabond des limbes, un rêveur immortel, un diseur de mots, un poète insatiable.
Mais je ne vous montrerai pas le chemin.

Ecoutez
Le lourd frou-frou du noir manteau,
Le rythme lent de la f…

1 commentaire:

  1. Trop belle cette Pavane de Fauré et je sais maintenant qui avait proposé le sujet il y a deux ou trois ans...
    avec le sourire

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