D’abord, j’avais eu peur de ne pas retrouver la boutique nichée sur les pentes de la Croix Rousse. Depuis la rue René Leynaud, il fallait prendre une traboule courant jusqu’à la rue Saint Polycarpe. Elle était bien là pourtant, au fond d’une courée malodorante peuplée de chats et de poubelles débordantes. Je poussais la porte rouge vif, courbais un peu la tête et descendais les quelques marches creuses, noires et luisantes de crasse. La pièce était sombre, les murs recouverts de photos et, au sol, s’entassait tout un fatras d’objets hétéroclites qu’il fallait enjamber. Le heavy metal pénétrait de ses vibrations frénétiques jusque dans mes tripes. Une puissante odeur d’encens m’avait saisi dès l’entrée.
Il était assis devant sa table de travail, un peu plus gras, un peu plus chauve, un peu plus tassé. La lampe de bureau dessinait une lame de lumière tranchante comme un poignard. Il leva la tête et resta un moment interdit, le regard fixe au dessus de ses petites lunettes rondes. Je remarquais sa barbiche et son percing à l‘arcade droite. Il arrêta la musique. Le silence s’installa soudain, lourd, épais. Je perçus alors seulement, derrière l’odeur de l’encens, celle de l’encre et plus loin encore, celle un peu plus fade du sang.
- Je pensais jamais te revoir.
Il était assis devant sa table de travail, un peu plus gras, un peu plus chauve, un peu plus tassé. La lampe de bureau dessinait une lame de lumière tranchante comme un poignard. Il leva la tête et resta un moment interdit, le regard fixe au dessus de ses petites lunettes rondes. Je remarquais sa barbiche et son percing à l‘arcade droite. Il arrêta la musique. Le silence s’installa soudain, lourd, épais. Je perçus alors seulement, derrière l’odeur de l’encens, celle de l’encre et plus loin encore, celle un peu plus fade du sang.
- Je pensais jamais te revoir.
- Moi, si.
- Quèsse tu veux ? Ni crainte, ni haine dans sa voix ; juste une sorte d’incrédulité.
- Ta diabolique habileté.
- T’as appris à jacter ?
Je fis oui de la tête.
- Pose ton cul ici.
Je contemplais un moment un vieux fauteuil en moleskine rouge.
- C’était à mon dabe : il était merlan au Terreaux.
Je m’installai, tranquille.
- Tu veux où ?
- Quèsse tu veux ? Ni crainte, ni haine dans sa voix ; juste une sorte d’incrédulité.
- Ta diabolique habileté.
- T’as appris à jacter ?
Je fis oui de la tête.
- Pose ton cul ici.
Je contemplais un moment un vieux fauteuil en moleskine rouge.
- C’était à mon dabe : il était merlan au Terreaux.
Je m’installai, tranquille.
- Tu veux où ?
Je lui indiquai d’un signe. Il alluma le Scialytique, en dirigea le faisceau sur mon bras gauche et remonta la manche.
- ‘tain, t’as encore pris du muscle.
- Quinze ans à soulever la fonte, ça aide.
- Tu veux quoi, un dessin, un symbole ?
- Non, un texte.
Il me tendit une feuille et un crayon : écris-le, comme ça y aura pas d’gaffe.
J’écrivis : « il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée » et lui rendit le bloc.
- Je veux que tu fasses le tour du biceps, et que le dernier « e » se lie au « i » de « il ».
- Pas de problème. Quelle couleur, bleue, noire, verte … ?
- Rouge.
- Quelle écriture ?
- La tienne.
Il prépara les aiguilles, pris quelques repères et commença le travail. La douleur, rien à côté de ce que j’avais subi. Le sang qui perle, le tampon de coton, l’aiguille et sa main d’artiste.
- t’es pas causant, mec.
- Non.
Qu’est ce que je pouvais bien lui dire. Que j’avais longtemps hésité entre Rimbaud et Musset, entre la phrase qu’il était en train de me tatouer sur le bras et « Je est un autre » ? Qu’aurait-il compris ? Pourquoi lui dire que je venais de passer quinze ans à Saint Paul pour un crime que je n’avais pas commis. Que j’avais encore la tête pleine du claquement des serrures, du glissement des judas, du grincement des grilles. Quinze années passées à regarder une porte close, à attendre qu’elle s’ouvre. Que si j’avais entretenu mon corps, j’avais aussi lu toute la « bibliothèque » de la prison, lui qui n’a jamais lu que les résultats du tiercé ?
- T’as revu Maggie ?
- Ouais. Elle passe parfois entre deux shoots se faire rajouter un trou ou un dragon. Tu sais qu’elle a virée gouine ?
Je savais tout, ou presque.
- Ah bon !
- Ouais. Elle vit avec José, tu sais, la grande brune. Maintenant elle tapine vers le marché gare depuis que son mec est claqué d’une overdose. Elle crèche toujours pareil, dans la montée de la Grand’côte.
- Ah bon. J’m’en fous un peu finalement.
José, la brune ! Que non que je m’en fous pas. Le casse minable avait été exécuté par son Jules et ça s’était terminé dans un bain de sang. Moi, j’étais là où il fallait pas. Lui, il s’est tiré et José m’a formellement reconnu comme le tueur. Quinze ans de tôle à cause de cette garce …
- C’est fini, mec.
Je me levais et pris un billet de cinquante que je posais sur le bureau. Je sortis sans me retourner.
Ce soir, j’irai Montée de la Grand’côte, voir José. Je vais l’étrangler, les yeux dans les yeux, sans un seul mot.
Ce soir, je serai vraiment un assassin.
- ‘tain, t’as encore pris du muscle.
- Quinze ans à soulever la fonte, ça aide.
- Tu veux quoi, un dessin, un symbole ?
- Non, un texte.
Il me tendit une feuille et un crayon : écris-le, comme ça y aura pas d’gaffe.
J’écrivis : « il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée » et lui rendit le bloc.
- Je veux que tu fasses le tour du biceps, et que le dernier « e » se lie au « i » de « il ».
- Pas de problème. Quelle couleur, bleue, noire, verte … ?
- Rouge.
- Quelle écriture ?
- La tienne.
Il prépara les aiguilles, pris quelques repères et commença le travail. La douleur, rien à côté de ce que j’avais subi. Le sang qui perle, le tampon de coton, l’aiguille et sa main d’artiste.
- t’es pas causant, mec.
- Non.
Qu’est ce que je pouvais bien lui dire. Que j’avais longtemps hésité entre Rimbaud et Musset, entre la phrase qu’il était en train de me tatouer sur le bras et « Je est un autre » ? Qu’aurait-il compris ? Pourquoi lui dire que je venais de passer quinze ans à Saint Paul pour un crime que je n’avais pas commis. Que j’avais encore la tête pleine du claquement des serrures, du glissement des judas, du grincement des grilles. Quinze années passées à regarder une porte close, à attendre qu’elle s’ouvre. Que si j’avais entretenu mon corps, j’avais aussi lu toute la « bibliothèque » de la prison, lui qui n’a jamais lu que les résultats du tiercé ?
- T’as revu Maggie ?
- Ouais. Elle passe parfois entre deux shoots se faire rajouter un trou ou un dragon. Tu sais qu’elle a virée gouine ?
Je savais tout, ou presque.
- Ah bon !
- Ouais. Elle vit avec José, tu sais, la grande brune. Maintenant elle tapine vers le marché gare depuis que son mec est claqué d’une overdose. Elle crèche toujours pareil, dans la montée de la Grand’côte.
- Ah bon. J’m’en fous un peu finalement.
José, la brune ! Que non que je m’en fous pas. Le casse minable avait été exécuté par son Jules et ça s’était terminé dans un bain de sang. Moi, j’étais là où il fallait pas. Lui, il s’est tiré et José m’a formellement reconnu comme le tueur. Quinze ans de tôle à cause de cette garce …
- C’est fini, mec.
Je me levais et pris un billet de cinquante que je posais sur le bureau. Je sortis sans me retourner.
Ce soir, j’irai Montée de la Grand’côte, voir José. Je vais l’étrangler, les yeux dans les yeux, sans un seul mot.
Ce soir, je serai vraiment un assassin.
Le jardin et l'Esplanade de la Grande Côte |
Montée de la Grande Côte / Lyon
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